t, fouillant au fond du tiroir, prit une poignee
des plus anciennes. A mesure qu'il les ouvrait, des souvenirs en
sortaient, precis, qui remuaient son ame. Il en reconnaissait beaucoup
qu'il avait portees sur lui pendant des semaines entieres, et il
retrouvait, tout le long de la petite ecriture qui lui disait des
phases si douces, les emotions oubliees d'autrefois. Tout a coup il
rencontra sous ses doigts un fin mouchoir brode. Qu'etait-ce? Il
chercha quelques instants, puis se souvint! Un jour, chez lui, elle
avait sanglote parce qu'elle etait un peu jalouse, et il lui vola,
pour le garder, son mouchoir trempe de larmes!
Ah! les tristes choses! les tristes choses! La pauvre femme!
Du fond de ce tiroir, du fond de son passe, toutes ces reminiscences
montaient comme une vapeur: ce n'etait plus que la vapeur impalpable
de la realite tarie. Il en souffrait pourtant et pleurait sur ces
lettres, comme on pleure sur les morts parce qu'ils ne sont plus.
Mais tout cet ancien amour remue faisait fermenter en lui une ardeur
jeune et nouvelle, une seve de tendresse irresistible qui rappelait
dans son souvenir le visage radieux d'Annette. Il avait aime la mere,
dans un elan passionne de servitude volontaire, il commencait a aimer
cette petite fille comme un esclave, comme un vieil esclave tremblant
a qui on rive des fers qu'il ne brisera plus.
Cela, il le sentait dans le fond de son etre, et il en etait terrifie.
Il essayait de comprendre comment et pourquoi elle le possedait ainsi?
Il la connaissait si peu! Elle etait a peine une femme dont le coeur
et l'ame dormaient encore du sommeil de la jeunesse.
Lui, maintenant, il etait presque au bout de sa vie! Comment donc
cette enfant l'avait-elle pris avec quelques sourires et des meches de
cheveux! Ah! les sourires, les cheveux de cette petite fillette blonde
lui donnaient des envies de tomber a genoux et de se frapper le front
par terre!
Sait-on, sait-on jamais pourquoi une figure de femme a tout a coup sur
nous la puissance d'un poison? Il semble qu'on l'a bue avec les yeux,
qu'elle est devenue notre pensee et notre chair! On en est ivre, on en
est fou, on vit de cette image absorbee et on voudrait en mourir!
Comme on souffre parfois de ce pouvoir feroce et incomprehensible
d'une forme de visage sur le coeur d'un homme!
Olivier Bertin s'etait remis a marcher; la nuit s'avancait; son poele
s'etait eteint. A travers les vitrages, le froid du dehors entrait.
Alors i
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