ient plus une jouissance intacte, un contentement ni une
gaite. Sans cesse elle fremissait d'un besoin exaspere de secouer ce
poids de misere qui l'ecrasait, car sans cette obsession harcelante
elle aurait ete si heureuse encore, alerte et bien portante!
Elle se sentait une ame vivace et fraiche, un coeur toujours jeune,
l'ardeur d'un etre qui commence a vivre, un appetit de bonheur
insatiable, plus vorace meme qu'autrefois, et un besoin d'aimer
devorant.
Et voila que toutes les bonnes choses, toutes les choses douces,
delicieuses, poetiques, qui embellissent et font cherir l'existence,
se retiraient d'elle, parce qu'elle avait vieilli! C'etait fini! Elle
retrouvait pourtant encore en elle ses attendrissements de jeune fille
et ses elans passionnes de jeune femme. Rien n'avait vieilli que sa
chair, sa miserable peau, cette etoffe des os, peu a peu fanee, rongee
comme le drap sur le bois d'un meuble. La hantise de cette decadence
etait attachee a elle, devenue presque une souffrance physique. L'idee
fixe avait fait naitre une sensation d'epiderme, la sensation du
vieillissement, continue et perceptible comme celle du froid ou de
la chaleur. Elle croyait, en effet, sentir, ainsi qu'une vague
demangeaison, la marche lente des rides sur son front, l'affaissement
du tissu des joues et de la gorge, et la multiplication de ces
innombrables petits traits qui fripent la peau fatiguee. Comme un
etre atteint d'un mal devorant qu'un constant prurit contraint a se
gratter, la perception et la terreur de ce travail abominable et menu
du temps rapide lui mirent dans l'ame l'irresistible besoin de le
constater dans les glaces. Elles l'appelaient, l'attiraient, la
forcaient a venir, les yeux fixes, voir, revoir, reconnaitre sans
cesse, toucher du doigt, comme pour s'en mieux assurer, l'usure
ineffacable des ans. Ce fut d'abord une pensee intermittente reparue
chaque fois qu'elle apercevait, soit chez elle, soit ailleurs, la
surface polie du cristal redoutable. Elle s'arretait sur les trottoirs
pour se regarder aux devantures des boutiques, accrochee comme par une
main a toutes les plaques de verre dont les marchands ornent leurs
facades. Cela devint une maladie, une possession. Elle portait dans sa
poche une mignonne boite a poudre de riz en ivoire, grosse comme une
noix, dont le couvercle interieur enfermait un imperceptible miroir,
et souvent, tout en marchant, elle la tenait ouverte dans sa main et
la levait vers ses yeux.
Qua
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