nd elle s'asseyait pour lire ou pour ecrire, dans le salon aux
tapisseries, sa pensee, un instant distraite par cette besogne
nouvelle, revenait bientot a son obsession. Elle luttait, essayait
de se distraire, d'avoir d'autres idees, de continuer son travail.
C'etait en vain; la piqure du desir la harcelait, et bientot sa main,
lachant le livre ou la plume, se tendait par un mouvement irresistible
vers la petite glace a manche de vieil argent qui trainait sur son
bureau. Dans le cadre ovale et cisele son visage entier s'enfermait
comme une figure d'autrefois, comme un portrait du dernier siecle,
comme un pastel jadis frais que le soleil avait terni. Puis,
lorsqu'elle s'etait longtemps contemplee, elle reposait, d'un
mouvement las, le petit objet sur le meuble et s'efforcait de se
remettre a l'oeuvre, mais elle n'avait pas lu deux pages ou ecrit
vingt lignes, que le besoin de se regarder renaissait en elle,
invincible et torturant; et elle tendait de nouveau le bras pour
reprendre le miroir.
Elle le maniait maintenant comme un bibelot irritant et familier que
la main ne peut quitter, s'en servait a tout moment en recevant ses
amis, et s'enervait jusqu'a crier, le haissait comme un etre en le
retournant dans ses doigts.
Un jour, exasperee par cette lutte entre elle et ce morceau de verre,
elle le lanca contre le mur ou il se fendit et s'emietta.
Mais au bout de quelque temps son mari, qui l'avait fait reparer, le
lui remit plus clair que jamais. Elle dut le prendre et remercier,
resignee a le garder.
Chaque soir aussi et chaque matin enfermee en sa chambre, elle
recommencait malgre elle cet examen minutieux et patient de l'odieux
et tranquille ravage.
Couchee, elle ne pouvait dormir, rallumait une bougie et demeurait,
les yeux ouverts, a songer que les insomnies et le chagrin hataient
irremediablement la besogne horrible du temps qui court. Elle ecoutait
dans le silence de la nuit le balancier de sa pendule qui semblait
murmurer de son tic-tac, monotone et regulier--"ca va, ca va, ca va",
et son coeur se crispait dans une telle souffrance que, son drap sur
sa bouche, elle gemissait de desespoir.
Autrefois, comme tout le monde, elle avait eu la notion des annees qui
passent et des changements qu'elles apportent. Comme tout le monde,
elle avait dit, elle s'etait dit, chaque hiver, chaque printemps ou
chaque ete: "J'ai beaucoup change depuis l'an dernier." Mais toujours
belle, d'une beaute un peu differente, el
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