vide d'une emotion
quelconque cherchait sur les rayons un nom d'ecrivain qui repondit a
son etat d'exaltation et d'attente. Balzac, qu'il adorait, ne lui dit
rien; il dedaigna Hugo, meprisa Lamartine qui pourtant le laissait
toujours attendri et il tomba avidement sur Musset, le poete des tout
jeunes gens. Il en prit un volume et l'emporta pour lire au hasard des
feuilles.
Quand il se fut recouche, il se mit a boire, avec une soif d'ivrogne,
ces vers faciles d'inspire qui chanta, comme un oiseau, l'aurore de
l'existence et, n'ayant d'haleine que pour le matin, se tut devant le
jour brutal, ces vers d'un poete qui fut surtout un homme enivre de la
vie, lachant son ivresse en fanfares d'amours eclatantes et naives,
echo de tous les jeunes coeurs eperdus de desirs.
Jamais Bertin n'avait compris ainsi le charme physique de ces poemes
qui emeuvent les sens et remuent a peine l'intelligence. Les yeux
sur ces vers vibrants, il se sentait une ame de vingt ans, soulevee
d'esperances, et il lut le volume presque entier dans une griserie
juvenile. Trois heures sonnerent, jetant en lui l'etonnement de
n'avoir pas encore sommeil. Il se leva pour fermer sa fenetre restee
ouverte et pour porter le livre sur la table, au milieu de la chambre;
mais au contact de l'air frais de la nuit, une douleur, mal assoupie
par les saisons d'Aix, lui courut le long des reins comme un rappel,
comme un avis, et il rejeta le poete avec un geste d'impatience en
murmurant: "Vieux fou, va!" Puis il se recoucha et souffla sa lumiere.
Il n'alla pas le lendemain chez la comtesse, et il prit meme la
resolution energique de n'y point retourner avant deux jours. Mais
quoi qu'il fit, soit qu'il essayat de peindre, soit qu'il voulut se
promener, soit qu'il trainat de maison en maison sa melancolie, il
etait partout harcele par la preoccupation inapaisable de ces deux
femmes.
S'etant interdit d'aller les voir, il se soulageait en pensant a
elles, et il laissait a sa pensee, il laissait son coeur se rassasier
de leur souvenir. Il arrivait alors souvent que, dans cette sorte
d'hallucination ou il bercait son isolement, les deux figures se
rapprochaient, differentes, telles qu'il les connaissait, puis
passaient l'une devant l'autre, se melaient, fondues ensemble, ne
faisaient plus qu'un visage, un peu confus, qui n'etait plus celui de
la mere, pas tout a fait celui de la fille, mais celui d'une femme
aimee eperdument, autrefois, encore, toujours.
Alors, i
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