issait. Elle avait envie de crier:
"Mais taisez-vous donc. Je le sais bien qu'elle me ressemble!"
Jusqu'a la fin de la soiree, elle demeura melancolique, perdant de
nouveau la confiance qu'elle avait retrouvee la veille.
Bertin causait avec elle, lorsque le marquis de Farandal fut annonce.
Le peintre, en le voyant entrer et s'approcher de la maitresse de
maison, se leva, glissa derriere son fauteuil en murmurant: "Allons
bon! voila cette grande bete, maintenant", puis, ayant fait un detour,
il gagna la porte et s'en alla.
La comtesse, apres avoir recu les compliments du nouveau venu,
chercha des yeux Olivier, pour reprendre avec lui la causerie qui
l'interessait. Ne l'apercevant plus, elle demanda:
--Quoi! le grand homme est parti?
Son mari repondit:
--Je crois que oui, ma chere, je viens de le voir sortir a l'anglaise.
Elle fut surprise, reflechit quelques instants, puis se mit a causer
avec le marquis.
Les intimes, d'ailleurs, se retirerent bientot par discretion, car
elle leur avait seulement entr'ouvert sa porte, sitot apres son
malheur.
Alors, quand elle se retrouva etendue en son lit, toutes les angoisses
qui l'avaient assaillie a la campagne reparurent. Elles se formulaient
davantage; elle les eprouvait plus nettement; elle se sentait vieille!
Ce soir-la, pour la premiere fois, elle avait compris que dans son
salon, ou jusqu'alors elle etait seule admiree, complimentee, fetee,
aimee, une autre, sa fille, prenait sa place. Elle avait compris cela,
tout d'un coup, en sentant les hommages s'en aller vers Annette. Dans
ce royaume, la maison d'une jolie femme, dans ce royaume ou elle ne
supporte aucun ombrage, d'ou elle ecarte avec un soin discret et
tenace toute redoutable comparaison, ou elle ne laisse entrer ses
egales que pour essayer d'en faire des vassales, elle voyait bien que
sa fille allait devenir la souveraine. Comme il avait ete bizarre, ce
serrement de coeur quand tous les yeux s'etaient tournes vers Annette
que Bertin tenait par la main, debout a cote du tableau. Elle s'etait
sentie soudain disparue, depossedee, detronee. Tout le monde regardait
Annette, personne ne s'etait plus tourne vers elle! Elle etait si bien
accoutumee a entendre des compliments et des flatteries, chaque
fois qu'on admirait son portrait, elle etait si sure des phrases
elogieuses, dont elle ne tenait point compte mais dont elle se sentait
tout de meme chatouillee, que cet abandon, cette defection inattendue,
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