l'autrefois! Elle avait des rires, des gentillesses,
des mouvements qui lui mettaient sur la bouche le gout des baisers
donnes et rendus jadis; elle faisait du passe lointain, dont il avait
perdu la sensation precise, quelque chose de pareil a un present reve;
elle brouillait les epoques, les dates, les ages de son coeur, et
rallumant des emotions refroidies, melait, sans qu'il s'en doutat,
hier avec demain, le souvenir avec l'esperance.
Il se demandait en fouillant sa memoire si la comtesse, en son plus
complet epanouissement, avait eu ce charme souple de chevre, ce charme
hardi, capricieux, irresistible, comme la grace d'un animal qui court
et qui saute. Non. Elle avait ete plus epanouie et moins sauvage.
Fille des villes, puis femme des villes, n'ayant jamais bu l'air des
champs et vecu dans l'herbe, elle etait devenue jolie a l'ombre des
murs, et non pas au soleil du ciel.
Quand ils furent rentres au chateau, la comtesse se mit a ecrire des
lettres sur sa petite table basse, dans l'embrasure d'une fenetre;
Annette monta dans sa chambre, et le peintre ressortit pour marcher a
pas lents, un cigare a la bouche, les mains derriere le dos, par les
chemins tournants du parc. Mais il ne s'eloignait pas jusqu'a perdre
de vue la facade blanche ou le toit pointu de la demeure. Des
qu'elle avait disparu derriere les bouquets d'arbres ou les massifs
d'arbustes, il avait une ombre sur le coeur, comme lorsqu'un nuage
couvre le soleil, et quand elle reparaissait dans les trouees de
verdure, il s'arretait quelques secondes pour contempler les deux
lignes de hautes fenetres. Puis il se remettait en route.
Il se sentait agite, mais content, content de quoi? de tout.
L'air lui semblait pur, la vie bonne, ce jour-la. Il se sentait de
nouveau dans le corps des legeretes de petit garcon, des envies
de courir et d'attraper avec ses mains les papillons jaunes qui
sautillaient sur la pelouse comme s'ils eussent ete suspendus au bout
de fils elastiques. Il chantonnait des airs d'opera. Plusieurs fois de
suite, il repeta la phrase celebre de Gounod: "Laisse-moi contempler
ton visage", y decouvrant une expression profondement tendre qu'il
n'avait jamais sentie ainsi.
Soudain, il se demanda comment il se pouvait faire qu'il fut devenu
si vite si different de lui-meme. Hier, a Paris, mecontent de tout,
degoute, irrite, aujourd'hui calme, satisfait de tout, on eut dit
qu'un dieu complaisant avait change son ame. "Ce bon dieu-la,
pensa-
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