ce de l'Hotel-de-Ville entre chaque colonne d'ouvriers et meme entre
chaque corporation. On les prenait dans un filet maille par maille. Ils
le sentaient, et ils contenaient leur indignation.
Arrive sur la place de l'Hotel-de-Ville, on les fit attendre une heure
pour que toute la mobile et toute la garde bourgeoise fut placee et
echelonnee; Le gouvernement provisoire, aux fenetres de l'hotel de
ville, se posait en Apollon. Louis Blanc avait une belle, tenue de
Saint-Just. Ledru-Rollin se montrait peu et faisait contre fortune bon
coeur. Lamartine triomphait sur toute la ligne. Garnier-Pages faisait
une mine de jesuite, Cremieux et Pagnerre etaient prodigues de leurs
hideuses boules et saluaient royalement la populace.
Les pauvres ouvriers etaient refoules derriere la garde bourgeoise, le
long des murs au fond de la place. Enfin, on leur ouvrit, au milieu des
rangs, un petit passage si etroit, que, de quatre par quatre qu'ils
etaient, ils furent forces de se mettre deux par deux, et on leur
permit d'arriver le long de la grille, c'est-a-dire devant cent mille
baionnettes et fusils charges. Dans l'interieur de la grille, la mobile
armee, fanatisee ou trompee, aurait fait feu sur eux au moindre mot. Le
grand Lamartine daigna descendre sur le perron et leur donner de l'eau
benite de cour. Je n'ai pu entendre les discours; mais, qu'ils en
fussent contents ou non, cela dura dix minutes, et les ouvriers
defilerent par le fond des autres rues, tandis que la garde bourgeoise
et la mobile se firent passer pompeusement en revue par Lamartine et les
autres triomphateurs.
Comme je m'etais fourree au milieu des gamins de la mobile, au centre
de la place pour mieux voir, je me suis esquivee a ce moment-la, pour
n'avoir pas l'honneur insigne d'etre passee en revue aussi, et je
suis revenue diner chez Pinson, bien triste et voyant la _Republique
republicaine_ a bas pour longtemps peut-etre.
Ce soir, je suis sortie a neuf heures avec Borie pour voir ce qui se
passait. Tous les ouvriers etaient partis; la rue etait aux bourgeois,
etudiants, boutiquiers, flaneurs de toute espece qui criaient: _A bas
les communistes! A la lanterne les cabetistes! Mort a Cabet!_ Et les
enfants des rues repetaient machinalement ces cris de mort: Voila
comment la bourgeoisie fait l'education du peuple. Le premier cri de
_mort_ et le doux nom de _lanterne_ ont ete jetes aujourd'hui a la
Revolution par les bourgeois. Nous en verrons de belles si on les la
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