si on venait a bout de la leur exposer sans
passion personnelle, et en menageant leur amour-propre encore plus
peut-etre que leurs interets. Je me trompais probablement sur leur
compte; car la maniere dont ils ont agi depuis prouve qu'avec ou sans le
15 mai, avec ou sans les journees de juin, ils eussent ouvert les bras a
la reaction plus volontiers qu'a le democratie. Mais, n'importe quelle
eut ete leur conduite, nous n'aurions pas a nous faire le reproche
d'avoir compromis pour un temps, par trop de precipitation, le sort de
la Republique.
En somme, je veux vous le dire franchement, et je crois etre certaine
que c'est aussi voire pensee, le 15 mai est une faute, et plus qu'une
faute politique, c'est une faute morale. Entre l'idolatrie hypocrite des
reactionnaires pour les institutions-bornes, et la licence inquiete des
turbulents envers les institutions encore mal affermies, il y a un droit
chemin a suivre.
C'est le respect pour l'institution qui consacre les germes evidents du
progres, la patience devant les abus de fait, et une grande prudence
dans les actes revolutionnaires qui peuvent nous faire, j'en conviens,
sauter par-dessus ces obstacles, mais qui peuvent aussi nous rejeter
bien loin en arriere et compromettre nos premieres conquetes, comme cela
nous est arrive. Ah! si nous avions eu des _motifs_, suffisants, le
peuple eut ete avec _nous!_ mais nous n'avions encore que des pretextes,
comme ceux qu'on cherche pour se battre avec un homme dont la figure
vous deplait. Il est bien vrai que la figure d'un homme et ses paroles
montrent et prouvent ce qu'il est, et qu'un jour ou l'autre, s'il est un
coquin, l'honnete homme aura le droit de le chatier. Mais il faut qu'il
y ait eu des actions bien graves et bien concluantes, autrement, notre
precipitation est un proces de tendance, une injustice contre laquelle
la conscience humaine se revolte. Voila pourquoi les clubs ont ete seuls
au 15 mai.
Au milieu de tout cela, vous, decide comme moi a attendre tout du temps,
et de la _maturite de la question sociale_ (vous l'aviez dit devant
moi, l'avant-veille, a votre club), vous avez fait ce que j'eusse
probablement fait a votre place; on vous a dit: "C'est une revolution,
le peuple le veut, le peuple triomphe; abandonnez-le ou marchez avec
lui." Vous avez accepte l'erreur et la faute du peuple, et vous avez
voulu suivre son mouvement pour l'empecher d'abuser de sa force s'il
etait, vainqueur, ou pour perir avec lui s'
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