contrees, sont des enfants
qui se croient assures de vivre un siecle. J'aime mieux qu'on me laisse
dans ma douleur. J'ai bien la force de boire le calice, je ne veux pas
qu'on me dise qu'il est de miel quand j'y vois le sang et les larmes de
l'humanite.
J'ai vu votre amie Eliza. Elle est venue passer quelques jours ici.
Nous avons beaucoup parle de vous; mais je vous dirai tout franchement
qu'elle m'a fait un effet tout oppose a celui que vous avez produit sur
moi. Apres vous avoir vu, je vous ai aime beaucoup plus qu'auparavant,
tandis qu'avec elle, c'est le contraire. Elle est tres bonne, tres
intelligente, elle doit avoir de grandes qualites. Mais elle est
infatuee d'elle-meme, elle a le vice du siecle, et ce vice ne me trouve
plus tolerante comme autrefois; depuis que je l'ai vu, comme un vilain
ver, ronger les plus beaux fruits et porter son poison sur tout ce qui
pouvait sauver le monde. Je crains que la lecture de mes romans ne lui
ait ete mauvaise et n'ait contribue, en partie, a l'exalter dans un sens
qui n'est pas du tout le mien. L'_homme_ et la _femme_ sont tout pour
elle, et la question de _sexe_, dans une acception ou la pensee de
l'homme ni celle de la femme ne devrait s'arreter exclusivement, efface
chez elle la notion de l'_etre humain_, qui est toujours le meme etre
et qui ne devrait se perfectionner ni comme homme ni comme femme, mais
comme ame et comme enfant de Dieu. Il resulte de cette preoccupation,
chez elle, une sorte d'etat hysterique dont elle ne se rend pas compte,
mais qui l'expose a etre la dupe du premier drole venu. Je crois sa
conduite chaste, mais son esprit ne l'est pas et c'est peut-etre pire.
J'aimerais mieux qu'elle eut des amants et n'en parlat jamais que de
n'en point avoir et d'en parler sans cesse. Enfin, apres avoir cause
avec elle, j'etais comme quelqu'un qui a mange un mauvais aliment et qui
souffre de l'estomac. J'ai ete sur le point de le lui dire, et c'etait
peut-etre mon devoir. Mais je m'apercevais que cela l'irriterait et je
n'etais pas sure de lui faire utilement de la peine.
Elle a pour vous, du reste, une sorte d'adoration, un culte, dont vous
devez lui savoir gre, car il est sincere et profond. Mais encore, en me
parlant de vous, elle m'a impatientee sans le savoir. Elle voulait avoir
mon opinion sur le sentiment que vous avez _pour les femmes_, et, pour
me debarrasser d'une si sotte question, je lui ai dit un peu brusquement
que vous ne deviez pas les aimer du t
|