choisissait la _nuance_, je tiens a garder l'attitude qui me
convient comme ecrivain, et a laquelle je n'ai jamais manque, ni comme
dignite, ni comme modestie, ni comme desinteressement.
Avise donc de toi-meme; car je prends ici conseil de toi, sur ce que
tu dois faire de ma lettre. Je desire retablir la verite en ce qui me
concerne, et c'est aussi defendre M. Ledru-Rollin que de me defendre
moi-meme. C'est la seule occasion convenable peut-etre que j'aurai de le
faire; car, le rapport oublie, il serait de mauvais gout de ramener
sur moi l'attention pour un _fait personnel_, comme vous dites a
l'Assemblee. Peut-etre aussi faut-il attendre que M. Ledru-Rollin s'en
explique lui-meme? Conferes-en avec lui, ce sera utile, et montre-lui
mes lettres si tu veux.
Je te remercie, mon vieux frere, d'avoir pense a moi tout de suite;
j'etais bien sure que tu aurais ce soin-la.
Je crois que tu dois blamer, toi, l'homme de la douceur et de la
prudence genereuse, la brutalite du _XVIe Bulletin_. Pardonne-moi ce
peche, que je ne puis appeler un peche de jeunesse. Je ne reviendrai pas
sur ce que je t'ai ecrit hier du fait _non accompli_ dans ma reflexion,
et pourtant accompli par le vouloir d'un hasard singulier. Ma defense,
la-dessus, n'est point trop metaphysique, elle est simple et meme naive,
je crois. Mais, apres tout, je ne me repens pas _bien sincerement_, je
le le confesse, de cette enormite. Je suis sincere en te disant que je
n'ai jamais donne dans le 15 mai. L'Assemblee n'avait pas merite d'etre
traitee si brutalement. Le peuple n'avait pas _droit_ ce jour-la. Il ne
s'agissait pas pour lui de sauver la Republique par ces moyens extremes
qu'il n'a mission d'employer, que dans les cas desesperes. D'ailleurs,
il n'etait pas la, _le peuple_, puisqu'on ne s'est pas battu. Quelques
groupes socialistes n'ont pas le droit d'_imposer_ leur systeme a la
France qui recule; mais, quand je disais, dans l'abominable XVI^{e}
_Bulletin_, que _le peuple_ a droit de sauver la Republique, j'avais
si fort raison, que je remercie Dieu d'avoir eu cette inspiration si
impolitique. Tout le monde l'avait aussi bien que moi; mais il n'y avait
qu'une femme assez folle pour oser l'ecrire. Aucun homme n'eut ete assez
bete et assez mauvaise tete pour faire tomber de si haut une verite si
banale. Le hasard, qui est quelquefois la Providence, s'est trouve la
pour que l'etincelle mit le feu. J'en rirais sur l'echafaud si cela
devait m'y envoyer. Le bon
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