out, que vous n'en aviez pas
le temps; et qu'avant les femmes il y avait pour vous _les hommes_,
c'est-a-dire l'humanite, qui comprend les deux sexes a un point de vue
plus eleve que celui des passions individuelles. La-dessus, elle s'est
animee et m'a parle de vous comme d'un heros de roman, ce qui me
blessait et m'ennuyait enormement. Enfin, une veritable Anglaise, prude
sans pudeur; et c'est aussi un veritable Anglais, car l'esprit n'a pas
de sexe, et chaque Anglais se croit le plus bel homme de la plus belle
nation qu'il y ait au monde.
Et, pourtant, je sens qu'il faut de l'indulgence avec ces heureux etres
qui trouvent encore, dans les petites satisfactions ou dans les petites
illusions de leur amour-propre, un refuge contre le malheur des temps.
Nous sommes bien a plaindre, nous qui ne pouvons plus vivre en tant
qu'individus et qui sommes dans l'humanite en travail, comme les vagues
dans la mer battues de l'orage.
Vous avez revu votre soeur et votre mere, c'est toujours cela de pris!
Je ne vous parle pas de mes chagrins domestiques. Ils sont toujours les
memes et ne changeront pas. Mon interieur est du moins tranquille et
doux, mon fils toujours bon et calme; et les deux autres enfants que
vous connaissez, laborieux et affectueux autour de moi. Je ne demande
rien a Dieu pour moi-meme, je ne le prie meme pas de me preserver des
cuisantes douleurs qui me viennent d'ailleurs. Je lui demande d'oter aux
autres les peines dont je souffre. Mais c'est encore lui demander plus
que sa terrible loi n'a voulu accorder a notre race infortunee.
Adieu, ami; je vous aime.
G. SAND.
CCLXXXVIII
A M. EDMOND PLAUCHUT, A ANGOULEME
Nohant, 14 octobre 1818.
Monsieur,
Les idees que je vous ai exprimees au courant de la plume dans ma
derniere lettre sont trop incompletes pour etre publiees. On peut faire
sans ceremonie un echange d'idees par lettres; mais il ne faut soumettre
au public que ce qu'on a travaille de son mieux et cela, non par respect
de soi-meme et vanite d'ecrivain, mais par respect pour l'idee meme
qu'on doit presenter sous la meilleure forme possible. Je m'occupe en
ce moment, avec un de mes amis, d'un travail aussi complet, et pourtant
aussi court et aussi simple que nous pouvons le resumer, sur la question
que je vous ai exposee rapidement dans ma lettre. Cette brochure[1]
paraitra incessamment et je vous en enverrai plusieurs exemplaires. Si
le principe developp
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