sans avoir rien fait.
Voici maintenant comment les choses se sont passees:
A deux heures, les trente mille ouvriers de Louis Blanc ont ete au Champ
de Mars, ou l'on dit que Louis Blanc n'est point venu; ce qui les a
mecontentes et refroidis. A la meme heure, de tous les coins de Paris,
ont apparu la garde nationale bourgeoise et la banlieue, cent mille
hommes au moins, qui ont ete aux Invalides et n'ont fait que traverser
pour se rendre a l'hotel de ville en meme temps que les ouvriers.
Ce mouvement s'est fait avec beaucoup d'art. Les ouvriers portaient des
bannieres sur lesquelles etaient ecrites leurs formules: _Organisation
du travail, Cessation de l'exploitation de l'homme par l'homme_.
Ils allaient demander au gouvernement provisoire de leur promettre
definitivement la garantie de ce principe. On pense que, sur le refus de
certains membres du gouvernement, ils auraient exige leur demission.
Ils l'auraient fait pacifiquement; car ils n'avaient point d'armes,
quoiqu'ils eussent pu en avoir, etant tous gardes nationaux.
Mais ils n'ont pu que presenter tres civilement leurs offrandes et leurs
voeux; car a peine avaient-ils enfile le quai du Louvre, que trois
colonnes de gardes nationaux armes jusqu'aux dents, fusils charges et
cartouches en poche, se placerent sur les deux flancs de la colonne des
ouvriers. Arrive au pont des Arts, on fit encore une meilleure division.
On placa une troisieme colonne de gardes nationaux et de mobiles au
centre. De sorte que cinq colonnes marchaient de front: trois colonnes
bourgeoises armees au centre et sur les cotes, deux colonnes d'ouvriers
desarmes, a droite et a gauche de la colonne du centre; puis, dans les
intervalles, promenades de gardes nationaux a cheval, laids et betes
comme de coutume.
C'etait un beau et triste spectacle que ce peuple marchant, fier et
mecontent, au milieu de toutes ces baionnettes. Les baionnettes criaient
et beuglaient: _Vive la Republique! Vive le gouvernement provisoire!
Vive Lamartine!_ Les ouvriers repondaient: _Vive la bonne Republique!
Vive l'egalite! Vive la vraie Republique du Christ_!
La foule couvrait les trottoirs et les parapets. J'etais avec Rochery,
et il n'y avait pas moyen de marcher ailleurs qu'avec la colonne des
ouvriers, toujours bonne, polie et fraternelle. Toutes les cinq minutes,
on faisait faire un temps d'arret aux ouvriers, et la garde nationale
avancait de plusieurs pelotons, afin de mettre un intervalle sur la
pla
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