de dire que la propriete, c'est le vol), ne
veulent point restituer a la communaute ce qui est essentiellement du
domaine commun. S'ils pouvaient, comme sous la feodalite, posseder les
ponts, les chemins, les rivieres, les maisons et meme les hommes, ils
trouveraient cela fort legitime, tant ils font peu, vis-a-vis de la
communaute, la distinction du tien et du mien.
Le peuple qui s'est battu en juin avait-il compris cette distinction? On
le croirait a cause du fait de la dissolution des ateliers nationaux,
qui a servi de cause ou de pretexte. Il semble qu'il ait pris les armes
pour maintenir son droit au travail. Mais le fait accompli se presente
si confusement et, je le repete, les dernieres elections de Paris sont
si bizarres, qu'on ne sait plus que penser de la masse.
Est-ce par haine de la dictature de Cavaignac qu'on ambitionne celle
d'un neveu de Napoleon? Comment le savoir? Nous nous agitons dans une
fournaise, et il est malheureux que le peuple ne connaisse pas sa vraie
force. Elle est dans le suffrage universel qui le met toujours a meme
de reparer ses fautes et de refaire sa constitution. Mais l'exces de sa
souffrance la lui fait meconnaitre, et, dans les orages qu'il souleve,
dans les voeux etranges qu'il emet lors des elections, il compromet le
principe meme de sa souverainete.
Cavaignac a peut-etre combattu le peuple pour lui conserver, malgre lui,
cette inviolable souverainete. Je ne sais. Il faut croire cela pour ne
pas le hair de s'etre fait, en apparence, l'executeur des hautes-oeuvres
de la bourgeoisie.
Voila, monsieur, mes idees sur notre malheur. Elles sont assez vagues,
comme vous voyez; car on n'a pas l'esprit bien lucide quand le coeur
est si profondement dechire. La foi dans l'avenir ne doit jamais etre
ebranlee par ces catastrophes; car l'experience est un fruit amer et
plein de sang; mais comment ne pas souffrir mortellement du spectacle de
la guerre civile et de l'egorgement du peuple?
Je vous remercie de la citation de Pascal que vous m'envoyez.--Elle est
bien belle, en effet, et bien frappante. Vous me demandez dans quel
journal j'ecris. Je n'ecris nulle part en ce moment du moins, je ne puis
dire ma pensee sous l'etat de siege. Il faudrait faire aux pretendues
necessites du temps des concessions dont je ne me sens pas capable. Et
puis mon ame a ete brisee, decouragee pendant quelque temps. Elle est
encore malade et je dois attendre qu'elle soit guerie.
Agreez, monsieur, et fait
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