pas perdre la notion d'une
equite superieure aux troubles passagers de la situation.
"Ne confondez point l'_ordre_, ce mot officiel du passe, avec la
mefiance qui aigrit et provoque. Il vous est bien facile de maintenir
l'ordre sans porter atteinte a la liberte. Vous n'avez pas droit sur la
liberte, conquete du peuple, et, comme ce n'est pas le peuple, que c'est
une tres petite fraction du peuple qui vous a outrages le 15 mai, vous
ne pouvez pas, vous ne devez pas chatier la France de la faute commise
par quelques-uns, en restreignant les droits et les libertes de la
France.
"Prenez garde, et n'agissez pas sous l'influence de la reaction; car
ce n'est pas le 15 mai que vous avez couru un danger serieux, c'est
aujourd'hui, derriere le rempart de baionnettes qui vous permet de
tout faire. Le danger pour vous, ce n'est pas d'affronter une emeute
parlementaire. Tout homme investi d'un mandat comme le votre doit
envisager de sang-froid le passage de ces petites tempetes; mais le
danger serieux, c'est de manquer au devoir que ce mandat vous impose, en
faisant entrer la Republique dans une voie monarchique ou dictatoriale;
c'est d'etouffer le cri de la France, qui vous demande la vie, et a
laquelle un retour vers le passe donnerait la mort; c'est enfin de
preparer, par crainte de l'anarchie partielle dont vous venez de
sortir sains et saufs, une anarchie generale que vous ne pourriez plus
maitriser."
GEORGE SAND
CCLXXVIII
AU CITOYEN THEOPHILE THORE, A PARIS.
Nohant, 24 mai 1848.
Mon cher Thore,
Voyez si vous ayez quelques mots a retrancher ou a-ajouter, pour ce
qui vous concerne, dans les premieres lignes de la lettre que je vous
adresse; ces premieres lignes sont une reponse a certaines gens qui
disent que je me suis sauvee pour n'etre pas arretee. Comme je ne
pouvais pas craindre la moindre chose, je n'avais point a me sauver et
je suis fort aisee a trouver a. Nohant.
Vous avez raison de faire comme vous faites. La raison du plus _brave_
est toujours la meilleure. Mais soyez prudent en ce qui concerne nos
amis. On m'a envoye quelques numeros de la _Vraie Republique_; apres
quoi, on s'est arrete, et, depuis deux jours, je ne recois plus rien.
C'est deplorable, cette negligence! Il est impossible d'ecrire a propos
dans un journal qu'on ne lit pas.
J'ignore a quelles personnes appartient l'avenir, je n'ai que la
passion de l'idee, et je crains bien que l'idee ne soi
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