it du
peuple meme, qui est independant et fier a l'endroit de ses croyances
plus qu'a celui de son existence materielle, et qui ne veut pas qu'on
violente son ignorance quand il n'a que de l'ignorance a opposer au
progres.
Puisque vous etes seul et cache, mon pauvre enfant, je puis causer avec
vous et vous ennuyer quelques instants. C'est toujours une maniere de
passer le temps. Pardonnez-moi donc de le faire et de vous sermonner un
peu. Vous etes trop vif et trop dur a l'endroit des personnes. Vous vous
pressez trop d'accuser, de traduire devant l'opinion publique les hommes
qui out l'air d'abandonner ou de trahir notre cause. Les hommes sont
faibles, incertains, personnels, je le sais, et il n'en est pas un
depuis le 24 fevrier qui n'ait ete au-dessous de sa tache. Mais
nous-memes, en les condamnant au jour le jour, nous avons ete au-dessous
de la notre. Nous ayons fait trop de journalisme a la maniere du passe,
et pas assez de predication comme il convenait a une doctrine d'avenir.
Cela fait, en somme, de la mauvaise politique, inefficace quand elle
n'est pas dangereuse. Ce n'est pas l'intelligence qui vous a manque,
a vous, personnellement; car, au milieu de votre fougue, vous arrivez
toujours a toucher tres juste le point sensible de la situation.
Mais un peu plus de _formes_ (a mes yeux, la veritable politesse est
l'esprit de charite), un peu moins de precipitation a declarer traitres
les irresolus et les etourdis, n'eut pas nui a votre propagande.
_Nous avons tous fait des sottises_, disait Napoleon au retour de
l'ile d'Elbe. Eh bien! nous pouvons nous dire cela les uns aux autres
aujourd'hui, et, quand on fait cet aveu de bonne foi, on n'est que plus
unis et plus forts. Vous-meme, vous dites, dans un des numeros que je
recois aujourd'hui: _Nos amis d'hier, qui le seront encore demain_.
C'est donc vrai, qu'il ne faut pas se brouiller avec ceux qui ont
combattu avec nous hier et qui reviendront combattre avec nous demain,
quand la reaction sur laquelle ils croient pouvoir agir les chassera du
pouvoir.
Voyez-vous, je ne crois pas, moi, qu'on devienne, du jour au lendemain,
un miserable et un apostat; et pourtant, notre vie, surtout dans un
temps de crise comme celui-ci, est si flottante, si difficile, si
troublee, qu'en nous jugeant au jour le jour, on peut aisement nous
trouver en faute. Eh bien! on n'est jamais juste envers son semblable
quand on le juge ainsi sur une suite variable de faits journaliers.
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