respect pour mon age ni pour le serieux de notre destinee et des
circonstances, les journaux de la reaction s'empareraient du fait de
ma presence a Bourges pour calomnier et profaner la plus sainte des
amities, par d'ignobles insinuations. Cela, c'est dans l'ordre, et nous
savons de quoi ils sont capables. Un journal redige par des devots et
des pretres ne publiait-il pas, il y a quelques annees, que j'avais
l'habitude de m'enivrer a la barriere avec Pierre Leroux?
Je me serais encore moquee, pour ma part, de ces outrages stupides sur
lesquels je suis tout a fait blasee; mais on me remontrait que cela,
venant jusqu'a vous, vous affligerait profondement dans votre amitie
pour moi, et qu'au lieu de vous avoir porte quelques consolations,
j'aurais ete pour vous une nouvelle occasion d'indignation et de
douleur.
Je vous devais toute cette explication; car mon premier mouvement etait
d'aller vous voir et embrasser votre digne soeur, et nos premiers
mouvements sont toujours un cri de la conscience autant que du coeur.
Les reflexions de mes amis et de mes proches m'ont ebranlee, vous serez
juge entre nous.
Je ne vous ai ecrit qu'un mot par Dufraisse, et rien par Aucante.
J'ignorais s'ils parviendraient jusqu'a vous et s'ils pourraient vous
remettre une lettre. Dufraisse devait m'ecrire a cet egard, en arrivant
a Bourges. Il l'a peut-etre fait, mais je n'ai rien recu; il y a
peut-etre un _cabinet noir_ installe pour la circonstance. De sorte que
je serais encore sans nouvelles particulieres de vous, si ce bon Emile
Aucante n'eut reussi a vous voir. Il m'a dit que vous aviez bon visage
et que vous vous disiez tout a fait bien portant.
C'est un bonheur pour moi au milieu de ma tristesse et de mes
inquietudes; car l'avenir nous appartient et il faut que vous soyez
avec nous pour le voir. Soignez-vous donc et n'usez pas vos forces.
Tenez-vous toujours calme. Il n'est plus de longues oppressions a
craindre desormais. Il n'est plus besoin de conspirations sous le ciel.
Le ciel conspire, et, nous autres humains, nous n'avons plus qu'a nous
laisser porter par le flot du progres. Il est bien rapide maintenant et
toutes ces persecutions dont nous sommes l'objet ont enfin une utilite
manifeste, immediate. Ah! votre sort est beau, ami, et, si vous n'en
etiez pas plus digne que nous tous, je vous l'envierais. Vous etes
peut-etre l'homme le plus aime et le plus estime des temps modernes
en France, malgre les terreurs des masses ign
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