oi. Si nous etions a Paris, nous irions vous voir,
vous nous auriez deja vus, vous pouvez bien le croire, et, aussitot que
nous irons, vous nous verrez.
Adieu, adieu; ecrivez-moi si vous pouvez, et sachez bien que vous avez
en moi une soeur, je ne dis pas aussi bonne, mais aussi devouee que
l'autre.
G. S.
CCLXXXII
A JOSEPH MAZZINT, A MILAN
15 juin 1848.
Que peuvent faire ceux qui out consacre leur vie a l'idee d'egalite
fraternelle, qui ont aime l'humanite avec ardeur, et qui adorent dans
le Christ le symbole du peuple rachete et sauve? que peuvent faire les
socialistes, en un mot, lorsque l'ideal quitte le sein des hommes,
lorsque l'humanite s'abandonne elle-meme, lorsque le peuple meconnait sa
propre cause? N'est-ce point ce qui menace d'arriver aujourd'hui, demain
peut-etre?
Vous avez du courage, ami; c'est-a-dire que vous garderez l'esperance.
Moi, je garderai ma foi: l'idee pure et brillante, l'eternelle verite
sera toujours dans mon ciel, a moins que je ne devienne aveugle. Mais
l'espoir, c'est la croyance a un prochain triomphe de la foi, et je ne
serais pas sincere si je disais que cette disposition de mon ame ne
s'est point modifiee depuis deux mois.
Je vois l'Europe civilisee se precipiter, par l'ordre de la Providence,
dans la voie des grandes luttes. Je vois l'idee de l'avenir aux prises
avec le passe. Ce vaste mouvement est un immense progres, apres les
longues annees de stupeur qui ont marque un temps d'arret dans la forme
des societes opprimees. Ce mouvement, c'est l'effort de la vie qui veut
sortir du tombeau et briser la pierre du sepulcre, sauf a se briser
elle-meme avec les debris. Il serait donc insense de desesperer; car,
si Dieu meme a souffle sur notre poussiere pour la ranimer, il ne
la laissera pas se disperser au vent. Mais est-ce une resurrection
definitive vers laquelle nous nous elancons, ou bien n'est-ce qu'une
agitation prophetique, un tressaillement precurseur de la vie, apres
lequel nous dormirons, encore un peu de temps, d'un sommeil moins lourd,
il est vrai, mais encore accables d'une langueur fatale? Je le crains.
Quant a la France, la question est arrivee a son dernier terme et se
pose sans detour, sans complication, entre la richesse et la misere.
Elle pourrait encore se resoudre pacifiquement; les _pretendants_ ne
sont point des incidents serieux, ils s'evanouiront comme des bulles
d'ecume a la surface du flot. La bourgeois
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