aussi le defaire, au lieu que,
s'il ne fait pas de choix du tout, il n'y aura pas de raison pour qu'il
ne subisse pas celui qu'on aura fait a sa place.
[1] _Travailleurs et Proprietaires_, par Victor Borie.
CCLXXXIX
A M. ARMAND BARBES, AU DONJON DE VINCENNES
Nohant, 1er novembre 1848.
Cher ami,
Je suis toute triste et consternee de n'avoir pas de vos nouvelles
depuis si longtemps. Je sais que vous vous portez bien (si on ne me
trompe pas pour me rassurer!). Mais je suis inquiete quand meme, parce
que j'esperais que vous pourriez m'ecrire, et apparemment vous ne l'avez
pas pu. N'avez-vous pas recu une lettre de moi, une seule; car on ne m'a
pas fourni, depuis, d'autre occasion, et d'autre moyen de vous ecrire.
Je n'ose vous rien dire; d'ailleurs, que vous dirais-je que vous ne
sachiez aussi bien que moi? Les evenements sont tristes et sombres
partout; mais l'avenir est toujours clair et beau pour ceux qui ont la
foi. Depuis mai, je me suis mise en prison moi-meme dans ma retraite,
qui n'est point dure et cruelle, comme la votre, mais ou j'ai peut-etre
eu plus de tristesse et d'abattement que vous, ame genereuse et forte!
j'y ai meme ete moins en surete; car on m'a fait beaucoup de menaces.
Vous savez que la peur n'est point mon mal, et nous sommes de ceux pour
qui la vie n'est pas un bien, mais un rude devoir a porter jusqu'au
bout.
Cependant, ces cris, ces menaces me faisaient mal, parce que c'etait
l'expression de la haine, et c'est la notre calice.
Etre hai et redoute par ce peuple pour qui nous avons subi physiquement
ou moralement le martyre depuis que nous sommes au monde! Il est ainsi
fait et il sera ainsi tant que l'ignorance sera son lot. Pourtant, on me
dit que partout il commence a se reveiller, et en bien des endroits on
crie aujourd'hui: "Vive Barbes!" la ou l'on criait naguere (et c'etaient
souvent les memes hommes): "Mort a Barbes!"--Eh! mon Dieu, me
disais-je, ce martyre, il l'a deja subi mille et mille fois, et il l'a
cherche a tous les instants de sa vie. C'est sa destinee d'etre le plus
hai et le plus persecute, parce qu'il est le plus grand et le meilleur."
Je fais souvent des chateaux en Espagne, c'est la ressource des ames
brisees. Je m'imagine que, quand vous sortirez d'ou vous etes, vous
viendrez passer un an ou deux chez moi. Il faudra bien que nous nous
tenions tous cois, sous le regne du president, quel qu'il soit; car la
partie, comm
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