la
charite seule peut nous sauver.
Cette lettre est toute confidentielle pour vous et vos amis. Mon nom
est, a cause du XVIe _Bulletin_, un epouvantail pour les reactionnaires,
et des relations avouees avec moi pourraient vous compromettre
serieusement, je dois vous en prevenir. Si quelque chose dans mes
lettres pouvait vous paraitre utile a dire, je vous autorise,
pleinement, puisque vous avez un journal, a le reproduire comme venant
de vous; car ce ne sont pas les choses que je dis qui effrayent et
irritent les gens, c'est mon nom.
En ce qui me concerne, j'ai ete forcee de refuser a plusieurs amis
d'etre leur collaborateur, et, si j'ecrivais dans votre journal, cela
m'attirerait des chagrins personnels.
Recevez, citoyen, l'assurance de mes sentiments de fraternite.
G. SAND.
[1] _Travailleurs et proprietaires_.
CCXCIII
A M. ARMAND BARBES, A BOURGES
Nohant, 14 mars 1849
Cher ami,
J'avais recu votre lettre du mois de decembre. N'en soyez point inquiet.
Si je ne vous ai pas ecrit depuis, c'est que j'esperais aller a Paris,
et j'aurais bien prefere vous voir; mais je n'ai pu quitter mon ile de
Robinson. En outre, malgre cette apparence de serenite dont on doit
l'exemple ou la consolation a ceux qu'on aime et qui vous voient de
pres, j'ai ete sous le coup d'un accablement physique et moral que je
n'aurais pu vous cacher en vous ecrivant.
J'ai eu ensuite la volonte d'aller a Bourges, et j'ai eu a subir des
luttes domestiques pour ne pas le faire. Je n'ai cede que devant cette
consideration que tous s'accordaient a me presenter: "Vous etes, me
disait-on, la bete noire, le bouc emissaire du socialisme. On veut que
vous conspiriez sans cesse, et plus vous vous tenez _coite_, plus on
vous accuse. Si vous allez a Bourges, on cherchera tous les moyens de
vous vexer." A quoi je repondais que cela m'etait bien egal; mais on
ajoutait aussitot que "la malveillance de certain parti rejaillirait
d'autant sur vous et augmenterait vos chances de condamnation".
J'ai peine a le croire. Je ne puis me persuader que l'on s'occupe de
moi a ce point, ni que nos adversaires eux-memes soient assez laches et
assez mechants pour reporter sur vous la haine qu'on leur suppose pour
moi. M'a-t-on trompee pour me soustraire a quelque peril imaginaire?
Mais il a fallu ceder, mon fils se mettant de la partie, et me disant
aussi une chose qui m'a paru la seule vraisemblable. C'est que, sans
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