e on aime l'esperance, comme on aime l'idee de
la justice, comme on aime Dieu dans l'humanite! Peut-on aimer ainsi et
vouloir que l'objet d'un tel amour s'avilisse dans la misere ou se
souille dans le pillage?
Demandez a la mere si elle souhaite que l'enfant de ses entrailles
devienne un bandit et un assassin!
Et pourtant voila ce dont on nous accuse. On dit que nos idees d'egalite
fraternelle sont le tocsin du meurtre et de l'incendie, et; en disant
cela, on sonne aux oreilles du peuple le tocsin du delire, on lui
signale d'invisibles ennemis qu'on lui conseille d'etrangler. On marque
la porte de nos maisons, on voudrait une Saint-Barthelemy d'heretiques
nouveaux, on lui crie: "_Tue!_ afin qu'il n'y ait plus personne entre
toi, peuple, et nous, bourgeoisie, et alors nous compterons ensemble."
Le peuple ne tuera pas. Eh! que m'importerait a moi qu'il me tuat,
si mon sang pouvait apaiser la colere du ciel et meme celle de la
bourgeoisie? Mais le sang enivre et repand dans l'atmosphere une
influence contagieuse. Le meurtre rend fou. L'injure meme, les mauvaises
paroles, les cris de menace tuent moralement ceux qui les exhalent.
L'education de la haine est une ecole d'abrutissement et d'impiete qui
finit par l'esclavage. Bourgeois, bourgeois! rentrez en vous-memes.
Parlez-nous de charite et de fraternite; car, apres que vous aurez tue
moralement le peuple, vous vous trouverez en face des cosaques, des
lazzaroni de Naples et des paysans de la Gallicie!
CCLXXXIII
A MADAME MARLIANI, A PARIS
Nohant, juillet 1818.
Merci, mon amie; j'aurais ete inquiete de vous si vous ne m'aviez pas
ecrit; car, au desastre general, on tremble, d'avoir a ajouter quelque
desastre particulier. On souffre et on craint dans tous ceux qu'on aime.
Je suis navree, je n'ai pas besoin de vous le dire, et je ne crois plus
a l'existence d'une republique qui commence par tuer ses proletaires.
Voila une etrange solution donnee au probleme de la misere. C'est du
Malthus tout pur.
Comment! miss Ashurst est arrivee au milieu de cette tragedie? Pauvre
enfant! elle est venue assister aux funerailles de notre honneur. Elle
est venue trop tard: elle n'aura pas vu la Republique. Embrassez-la pour
moi; je suis contente qu'elle soit chez vous et j'ai la certitude que
vous serez contentes l'une de l'autre. Je voudrais bien pouvoir vous
aller embrasser toutes deux. Mais, d'ici a quelque temps, outre que je
serais p
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