ila, mon cher ami, tout ce que j'avais besoin de vous dire, et ne
faites pas fi du sentiment d'une femme. Les femmes et les enfants,
toujours desinteresses dans les questions politiques, sont en rapport
plus direct avec l'esprit qui souffle d'en haut sur les agitations de ce
monde. J'ecrirai dans la _Vraie Republique_ quand meme, et sans y mettre
aucune condition morale. Mais, au nom de la cause, au nom de la verite,
je vous demande d'avoir le feu non moins vif, mais plus pur, la parole
non moins hardie mais plus calme. Les grandes convictions sont sereines.
Ne vous faites point accuser d'ambition personnelle. On suppose toujours
que la passion politique cache cette arriere-pensee chez les hommes.
Enfin, ecoutez-moi, je vous le demande, sans craindre que vous
m'accusiez de presomption. J'ai pour moi l'enfance de l'ame et la
vieillesse de l'experience. Mon coeur est tout entier dans ce que je
vous dis; quand vous me connaitrez tout de bon, vous saurez que vous
pouvez vous confier aveuglement a l'instinct de ce coeur-la.
On m'a beaucoup conseille de me cacher aussi; mes amis m'ont ecrit de
Paris que je serais arretee. Je n'en crois rien et j'attends. Je ne suis
pas tres en surete non plus ici. Les bourgeois out fait accroire aux
paysans que j'etais l'ardent disciple du _pere Communisme_, un gaillard
tres mechant qui brouille tout a Paris et qui veut que l'on mette a
mort les enfants au-dessous de trois ans et les vieillards au-dessus de
soixante. Cela ressemble a une plaisanterie, c'est pourtant reel. Hors
de ma commune, on le croit et on promet de m'enterrer dans les fosses.
Vous voyez ou nous en sommes. Je vis, pourtant tranquille, et je
me promene sans qu'on me dise rien. Jamais les hommes n'ont ete si
fervents... en paroles. Mais quelle lache et stupide education les
habiles donnent aux simples!
Bonsoir! cachez-vous encore. Vous n'auriez rien a craindre d'une
instruction; mais on vous ferait perdre du temps, et cette reaction
passera vite quant au fait actuel. Je crois que; quant au fait general,
elle pourra durer quelques mois. Les vrais republicains se sont trop
divises, le mal est la.
Ecrivez-moi et brulez ma lettre. Courage et fraternite.
G. SAND.
CCLXXXI
AU CITOYEN ARMAND BARBES, AU DONJON
DE VINCENNES
Nohant, 10 juin 1848.
Je n'ai recu votre lettre qu'aujourd'hui 10 juin, cher et admirable ami.
Je vous remercie de cette bonne pensee, j'en avais besoin; ca
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