t s'embrassant d'un bout
de Paris a l'autre au cri de _Vive la fraternite!_ c'etait sublime. Il
me faudrait t'ecrire vingt pages pour te raconter tout ce qui s'est
passe, et je n'ai pas cinq minutes. Comme spectacle, tu ne peux pas
t'en faire d'idee. Tu en trouveras une relation bien abregee dans le
_Bulletin de la Republique_ et dans la _Cause du peuple_. La recois-tu,
a propos? J'ai affaire a la plus detestable boutique d'editeurs qu'il y
ait; ils n'envoient pas les numeros et s'etonnent, de ne pas recevoir
d'abonnements. Je vais changer tout cela.
Mais, pour revenir a cette fete, elle signifie plus que toutes les
intrigues de la journee du 15. Elle prouve que le peuple ne raisonne
pas tous nos differends, toutes nos nuances d'idees, mais qu'il sent
vivement les grandes choses et _qu'il les veut_. Courage donc! demain
peut-etre, tout ce pacte sublime jure par la multitude sera brise dans
la conscience des individus; mais, aussitot que la lutte essayera de
reparaitre, le peuple (c'est-a-dire _tous_) se levera et dira:
--Taisez-vous et marchons!
Ah! que t'ai regrette hier! Du haut de l'arc de l'Etoile le ciel, la
ville, les horizons, la campagne verte, les domes des grands edifices
dans la pluie et dans le soleil, quel cadre pour la plus gigantesque
scene humaine qui se soit jamais produite! De la Bastille, de
l'Observatoire a l'Arc de triomphe et au dela et en deca hors de Paris,
sur un espace de cinq lieues, quatre cent mille fusils presses comme
un mur qui marche, l'artillerie, toutes les armes de la ligne, de la
mobile, de la banlieue, de la garde nationale, tous les costumes, toutes
les pompes de l'armee, toutes les guenilles de la sainte _canaille_, et
toute la population de tout age et de tout sexe pour temoin, chantant,
criant, applaudissant, se melant au cortege. C'etait vraiment sublime.
Lis les journaux, ils en valent la peine; tu aurais ete fou de voir
cela! Je l'ai vu pendant deux heures, et je n'en avais pas assez; et, le
soir, les illuminations, le defile des troupes, la torche en main, une
armee de feu, ah! mon pauvre garcon, ou etais-tu? J'ai pense a toi plus
de cent fois par heure. Il faut que tu viennes au 5 mai, quand meme on
devrait bruler Nohant pendant ce temps-la.
Adieu; je t'aime
CCLXXVII
AU CITOYEN CAUSSIDIERE,
PREFET DE POLICE
Nohant, 20 mai 1848.
Citoyen,
J'etais, le 15 mai, dans la rue de Bourgogne, melee a la foule, curieuse
et inq
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