tre main. Qui a tort ou raison de vous ou de moi? Je ne
sais; mais nous avons une disposition tout opposee. Vous n'avez pas
besoin d'estimer et d'aimer beaucoup un homme pour l'employer, pour le
juger propre a l'oeuvre sainte.
Moi, je suis capable d'estimer et d'aimer, comme individu prive, un
homme aimable et bon; je le defendrais comme tel avec chaleur contre ses
ennemis, je voudrais lui rendre service, je partagerais ses chagrins.
J'ai plusieurs amis dont je ne goute pas les idees, dont je n'approuve
pas la conduite, et que j'aime pourtant et a qui je suis tres devouee,
dans tout ce qui est en dehors de l'opinion. Mais dans l'action
generale, c'est autre chose. Si je faisais de la politique, je serais
d'une rigidite farouche. Je voudrais sauver la vie, l'honneur et la
liberte de ces hommes-la; mais je ne voudrais pas qu'une mission
leur fut confiee, et rien ne me ferait transiger la-dessus, ni la
consideration de leur talent, ni celle de leur popularite (la popularite
est si aveugle et si folle!), ni celle d'une utilite momentanee. Je ne
crois pas a l'utilite momentanee. On paye cela trop cher le lendemain,
pour qu'il y ait une utilite reelle.
Voila donc, pour la France, le chef de l'association politique formee
sous le titre du _Proscrit_[1]. Il est possible que la nuance que
cet homme represente soit la seule possible en fait de gouvernement
republicain immediat: on doit respect a cette nuance pendant un certain
temps.
Je ne la combattrais donc pas, si j'etais homme et ecrivain politique,
tant qu'elle ne ferait pas de fautes graves, et surtout tant que nous
serions en presence d'ennemis formidables contre lesquels cette nuance
serait le seul point de ralliement. Mais je ne pourrais plus mettre mon
coeur, mon ame et mon talent a son service. Je m'abstiendrais jusqu'au
jour ou ce parti deviendrait le persecuteur avoue et agissant d'un parti
plus avance qui representerait davantage la raison et la verite par le
peuple. Ce jour, helas! ne se ferait pas longtemps attendre.
Votre ame ardente me repond, je l'entends d'avance, qu'il ne faut jamais
s'abstenir, pas une heure, pas un moment!
Je sens la beaute mais non la verite rigoureuse de cette reponse; je
crois que tout le mal vient de ce que personne ne veut jamais s'abstenir
pendant un temps donne. Les uns y sont pousses par leurs passions, les
autres par leur vertu, c'est le petit nombre. Mais quiconque serait bien
penetre de l'esprit de l'histoire et de la n
|