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haut dans les romans et dans les poemes; et, pourtant, on y vaut moins
que dans la realite, cela n'est pas un paradoxe. Il n'est pas vrai que
nous ayons tous merite la corde; mais ce que vous dites, que nous
avons tous ete en demence, ne fut-ce qu'une heure dans la vie, est
parfaitement exact. Il y a plus, nous sommes tous des fous, des enfants,
des faibles, des inconsequents, des niais ou des fantasques, quand nous
ne sommes pas des gredins. Voila precisement pourquoi nous valons mieux
que des heros de roman. Nous avons les miseres de notre condition, nous
sommes des personnages reels, et, quand nous avons de bons mouvements,
de bons retours, de bons vouloirs, nous plaisons a Dieu et a ceux qui
nous aiment en raison du contraste de ce bon et de ce fort avec notre
pauvre ou notre mauvais. Moi, je suis plus touchee du vrai que du beau,
et du bon que du grand. J'en suis plus touchee a mesure que je vieillis
et que je sonde l'abime de la faiblesse humaine. J'aime dans Jesus la
defaillance de la montagne des Oliviers; dans Jeanne Darc, les larmes et
les regrets qui font d'elle un etre humain. Je n'aime plus cette raideur
et cette tension des heros qu'on ne voit que dans les legendes, parce
que je n'y crois plus. Soyez certain que personne encore n'a su peindre
ni decrire l'amour vrai; et, l'eut-on su, le _public_ ne l'aurait
peut-etre pas compris. Le lecteur veut un ornement a la verite, et
Rousseau n'a pas ose nous dire pourquoi il aimait Therese. Il l'aimait
pourtant, et il avait raison de l'aimer, bien qu'elle ne valut pas le
diable. On voulait le faire rougir de cet attachement, il faisait
son possible pour n'en pas etre humilie. Ni lui ni les autres ne
comprenaient que sa grandeur etait de pouvoir aimer la premiere bete qui
lui etait tombee sous la main. Pourquoi n'osait-il pas dire a ceux qui
la trouvaient laide et sotte qu'il la trouvait belle et intelligente?
C'est qu'il faisait des romans et ne s'avouait pas que la vie, pour etre
terre a terre, est plus tendre, plus genereuse, plus humble, meilleure
enfin que les fictions. Il faut des fictions pourtant: l'humanite, la
jeunesse surtout en est avide. Vous l'avez dit, vous les maudissiez
pour leurs mensonges, et vous en aviez la tete si remplie, que vous ne
pouviez regarder l'avenir qu'a travers leur prisme. Pourquoi faut-il
qu'elles nous degoutent de vivre avant d'avoir vecu, et pourquoi faut-il
que nous nous degoutions d'elles quand nous vivons tout de bon?
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