C'est
une solution qui peut vous occuper encore une heure ou deux, et dont
vous vous tirerez mieux que moi; car vous etes dans l'age ou l'on peut
encore analyser et approfondir. Faites donc la suite et la fin de ces
belles pages; car vous nous laissez dans le doute ou dans l'attente
d'une certitude, et je suis bien sure qu'Angele vous a fait trouver la
vie plus douce et plus complete que Shakespeare, Byron et compagnie.
Sur ce, j'embrasse Angele et je suis a vous de coeur.
GEORGE.
CCCII
A M. CHARLES PONCY, A TOULON
Nohant, juillet 1849.
Cher enfant,
Il y a longtemps que je veux vous ecrire. Mais, dans ce triste temps, on
ose a peine causer avec ses amis. On se sent si demoralise, si sombre;
on a tant de peine a ne pas devenir egoiste ou mechant! On craint de
faire du mal a ceux qu'on aime en leur disant tout le mal qu'on porte en
soi-meme. Et pourtant, tout cela est lache et impie. Dieu abandonne ceux
qui doutent de lui. Il ne fait de miracles que pour les croyants. C'est
le scepticisme des vingt annees de Louis-Philippe qui est cause de tout
ce qui nous arrive.
Mais Rome croyait! Rome esperait et combattait, helas! et nous I'avons
tuee. Nous sommes des assassins, et on parle de gloire a nos soldats!
Mon Dieu, mon Dieu, ne nous laissez pas plus longtemps douter de vous!
Il ne nous reste qu'un peu de foi. Si nous perdons cela, nous n'aurons
plus rien.
J'espere que Mazzini est sauve de sa personne. Mais son ame
survivra-t-elle a tant de desastres? Vous avez raison quand vous dites
qu'il a vecu trente ans pour mourir comme il va mourir un de ces jours;
car l'Europe est livree aux assassins, et, s'il ne se jette pas dans
leurs mains, il y tombera tot ou tard. J'ai recu de lui une lettre
admirable. Mais je ne vous dirai pas quels sont ses projets. Je crains
que le secret des lettres ne soit pas respecte a la poste.
Et vous, mon enfant, vous etes fatigue, ennuye de la vie de bureau. Vous
regrettez le travail des bras, la vie de l'ouvrier. Je le concois bien.
Moi, je voudrais etre paysan et avoir de la terre a becher huit heures
par jour. Je fais pourtant un metier plus doux que le votre, puisque je
suis libre de choisir mon genre de travail sedentaire. Mais je n'ai le
coeur a rien. Tout ce qui est ecrit ou a ecrire me semble froid. Les
paroles ne peuvent plus rendre ce qu'on eprouve de douleur et de colere,
et, dans ces temps-ci, on ne vit que par la passion. Tout
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