mps en temps des doutes sur
moi, lorsque vous me demandez si je suis _mecontente_ de vous. C'est
la suite du proces que vous voulez de temps en temps vous faire a
vous-meme, pauvre cher saint homme que vous etes! Vous vous accusez
quand l'humanite hesite ou recule, comme si c'etait votre faute comme
si vous n'aviez pas toujours ete sur la breche le premier et le plus
expose. Vous etes trop bon et trop grand pour ne pas etre triste et
timore. Que ne puis-je vous donner un peu de cet orgueil que les autres
ont de trop! Vous souffririez moins. Mais cette humilite de votre coeur
fait qu'on vous aime autant qu'on vous estime, je dirais qu'on vous
admire, si ce n'etait a vous que je le dis. Vous ne le croiriez
peut-etre pas, tant vous etes simple et doux. Croyez, au moins, que je
vous aime de toute mon ame et n'en doutez jamais, ou je croirai que vous
ne m'aimez plus.
Mon fils et nos amis vous embrassent.
Ecrivez-moi.
CCXCV
A M. THEOPHILE THORE, A PARIS
Nohant, 29 mars 1849.
Mon cher ami,
Il faut que je n'ecrive point _socialisme_ et fasse le mort pour le
moment. Ce n'est pas un engagement que j'ai pris, comme bien vous
pensez, mais c'est une contrainte volontaire que je m'impose pour sauver
une existence qui m'est plus chere que la mienne. Je vous, dirais cela
si nous pouvions causer ensemble.
Attendez-moi donc quelque temps sans parler de moi. Mon baillon tombera
bientot, j'espere. Ne vous inquietez point de l'affaire materielle en ce
qui me concerne. Je crois avoir ete plus que payee du travail que j'ai
fait pour le journal, et j'espere bien, quand la liberte me sera rendue,
n'etre plus dans les memes embarras d'argent, et n'avoir plus a vous en
demander pour ma collaboration. Il y a longtemps que je me reproche
de n'avoir pas recu de vos nouvelles directement, regret que vous ne
m'auriez pas cause si je vous avais ecrit moi-meme. J'ai ete triste et
malade, et je n'ai pas su me defendre d'un effroyable abattement apres
juin. Cela s'est dissipe pourtant, et j'ai fait un nouveau bail avec la
patience et la foi dans l'avenir. Pourtant, les evenements officiels
ne sont pas plus riants. Barbes a Bourges, l'Italie perdue ou trahie,
Proudhon condamne, la reaction triomphante sur toute la ligne! Mais cela
n'empeche pas l'idee de faire son chemin, et, jusque dans les provinces
les plus arrierees, le peuple s'indigne contre le pouvoir, et de grandes
protestations se preparent,
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