raisonnement
est inutile, toute predication est vaine. Nous avons affaire a des
hommes qui n'ont ni loi, ni foi, ni principes, ni entrailles. Le peuple
les subit. C'est au peuple qu'on est tente de reprocher l'infamie des
gens qui le menent, le trompent et l'ecrasent.
Ah! mon enfant, quelle affreuse phase de l'histoire nous traversons!
Nous en sortirons d'une maniere eclatante, je n'en doute pas. Mais, pour
qu'une nation demoralisee a ce point se releve et se purifie, il faut
qu'elle ait expie son egoisme, et Dieu nous reserve, je le crains, des
chatiments exemplaires!
Rien de nouveau ici. Maurice, Borie et Lambert partagent toujours ma vie
retiree. Nous nous occupons en famille; nous tachons de ne donner que
quelques courtes heures aux journaux et aux commentaires indignes que
leur lecture provoque. Malgre soi, on y revient plus souvent qu'on ne
voudrait. Du moins, nous avons la consolation d'etre tous du meme avis
et de ne pas nous quereller amerement, comme il arrive maintenant
dans beaucoup de familles. Les interieurs subissent generalement le
contre-coup du malheur general. Le notre est uni et fraternel. Nous nous
affligeons ensemble et d'un meme coeur. Nous tachons de nous donner
de l'espoir les uns aux autres, et souvent c'est le plus desole qui
s'efforce de consoler les autres.
Aimez-moi toujours, mon enfant. La douleur doit rapprocher et resserrer
les liens de l'affection. Je vous benis bien tendrement, ainsi que
Solange et Desiree. Mes enfants vous embrassent.
CCCIII
A JOSEPH MAZZINI, A MALTE
Nohant, 24 juillet 1849
O mon ami! l'affection est egoiste, et, quand j'ai appris ce triste
denouement, mille fois plus triste pour la France que pour l'Italie, je
confesse que je ne me suis d'abord inquietee que de vous.
Que Dieu me le pardonne, et vous aussi, qui etes un saint! Un ami que
j'ai a Toulon m'a ecrit, avant tout, que vous etiez en surete, et je
l'ai mille fois beni.
Vous pensez bien que, d'ailleurs, j'ai le coeur brise. Quelque innocent
qu'on soit du crime d'une nation a laquelle on appartient, il y a une
sorte d'intime solidarite qui fait passer dans notre propre coeur le
remords que devraient avoir les autres. Oui, le remords et la honte. Moi
qui etais si fiere de la France en fevrier!
Helas! que sommes-nous devenus, et quelle expiation nous reserve la
justice divine avant de nous permettre de nous relever?
Vous, vous etes plus heureux que moi,
|