vile que nous gagnerons en France le proces de
l'humanite. Nous avons le suffrage universel: malheur a nous si nous ne
savons pas nous en servir; car lui seul nous affranchira pour toujours,
et le seul cas ou nous ayons le droit de prendre les armes, c'est celui
ou l'on voudrait nous retirer le droit de voter.
Mais ce peuple, si ecrase par la misere, si brutalise par la police, si
provoque par une infame politique de reaction, aura-t-il la logique et
la patience vraiment surhumaines d'attendre l'unanimite de ses forces
morales? Helas! je crains que non. Il aura recours a la force physique.
Il peut gagner la partie; mais c'est tant risquer pour lui, qu'aucun
de ceux qui l'aiment veritablement ne doit lui en donner le conseil et
l'exemple. Pour n'etre ni avec lui ni contre lui, il faut n'etre pas a
Paris. Reviens donc, si tu m'en crois; j'estime qu'il est temps. Ramene
aussi Lambert, je le lui conseille, et je serai plus tranquille de vous
voir tous ici.
Je t'embrasse, mon enfant, et te prie de penser a moi.
CCXCVII
A M. THEOPHILE THORE, A PARIS
Nohant, 26 mai 1849.
Cher ami,
Il y a longtemps que je vous dois, que je me dois de vous ecrire.
J'esperais avoir le temps de vous voir a Paris, ou j'ai ete au
commencement du mois passer trois jours pour affaires. Je ne l'ai pas
eu, le _temps_. Et puis j'esperais vous complimenter sur votre election
et me rejouir avec vous, mais vous avez echoue, quoique avec une grande
masse de voix. Enfin, j'ai ete malade en revenant ici, toujours malade
depuis deux ans, non pas de maniere a inquieter ceux qui tiennent a ma
vie, mais de maniere a perdre mon temps et a m'ennuyer melancoliquement
sous le poids d'un accablement physique extraordinaire. Je suis dans une
phase d'impuissance materielle. Je ne me sens ni decouragee ni ennuyee
de rien quand la vie me revient. Mais la vie s'en va par moments, par
jours, par semaines entieres, et alors je m'ennuie de ne pas pouvoir
vivre, et de penser sans ecrire. J'en sortirai, car j'ai la volonte de
voir encore quelques annees. Je suis sure qu'elles me feront du bien
et que je pourrai dire comme ce vieux d'Israel: _Et a present, je puis
mourir_.
Cet autre empechement dont je vous parlais et qui ne tenait pas a moi
est a peu pres hors de cause maintenant. Attendez-moi encore quelque
temps et je vous aiderai. J'ai demande des details sur Mazzini: je veux
faire sa biographie; mais ne l'annoncez pas;
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