malgre la defaite, malgre l'exil
et la persecution; Vous etes plus heureux par ce seul fait que vous etes
_Romain_; car vous l'etes plus qu'aucun de ceux qui sont nes sur le
Tibre. Et plus heureux que personne au inonde, parce que vous seul (avec
Kossuth) avez fait votre devoir. Quand je dis vous et Kossuth, je dis
ceux qui etaient avec vous et ceux qui sont avec lui; car les plus
obscurs devouements sont aussi chers a Dieu que les plus illustres. Et,
a present, ami, malgre le malheur, malgre la douleur, n'avez-vous pas
cette satisfaction de vous-meme, cette paix profonde de l'ame qui se
sent quitte envers le ciel et les hommes? N'avez-vous pas accompli
jusqu'au bout une mission sainte? n'avez-vous pas tout immole pour la
verite, l'honneur, la justice et la foi? n'avez-vous pas des jours
resignes et des nuits tranquilles? Je suis certaine que vous etes calme
et que vous goutez les joies austeres de la foi. On peut l'avoir pour
les autres, pour l'humanite, quand on la porte en soi-meme, quand on est
soi-meme la foi vivante et militante.
Oui, vous avez bien agi et bien pense en toutes choses. Vous avez bien
fait de sauver l'honneur jusqu'a la derniere extremite, et vous avez
bien fait aussi, lorsque cette derniere extremite est arrivee, de sauver
la vie des assieges, des femmes, des enfants, des vieillards. Les
monuments de l'art viennent ensuite, quoique nos journaux se soient plus
preoccupes du sort des fresques de Raphael et de Michel-Ange que de
celui des orphelins et des veuves.
Tout ce que vous avez voulu et accompli est juste. Le monde entier le
sent, meme les miserables qui ne croient a rien, et le monde entier le
dira bien haut quand l'heure sera venue.
Moi, je n'ai que cela a vous dire. Je n'ai que cette consolation a
vous offrir. Pour le moment, je suis humiliee et decouragee dans mon
sentiment national. Mais je suis fiere de ce qui reste encore de
combattants et de victimes sur la terre, et je suis fiere de vous.
Donnez-moi, si vous pouvez, de vos nouvelles. Si vous aviez quelques
besoins d'argent, ecrivez-le-moi et me donnez les moyens de vous en
faire passer. Adressez-moi vos lettres, sous double enveloppe, a M.
Victor Borie, a la Chatre (Indre). Je vous embrasse de toute mon ame.
Respects et amities de Maurice.
J'ai recu vos deux lettres de Rome.
CCCIV
AU MEME
Nohant, 26 juillet 1849.
Mon frere bien-aime,
Je vous ai ecrit hier, j'ai envoye a un ami
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