oute de certaines fontaines lustrales, ou lavoirs publics. Nous
voyons, aux premiers temps du christianisme, des Peres de l'Eglise
s'elever avec eloquence contre la coutume idolatrique d'orner de fleurs
et d'offrandes les statues des dieux. Plus spiritualistes que ne l'est
notre epoque, ils veulent qu'on adore le vrai Dieu en esprit et en
verite. Ils proscrivent les temoignages exterieurs; ils voudraient
detruire radicalement le materialisme de l'ancien monde.
Mais avec le peuple attache au passe il faut toujours transiger. Il est
plus facile de changer le nom d'une croyance que de la detruire. On
apporte une foi nouvelle, mais il faut se servir des anciens temples, et
consacrer de nouveau les vieux autels. C'est ainsi qu'en beaucoup
d'endroits les pierres druidiques ont traverse la domination romaine et
la domination franque, le polytheisme et le christianisme primitif, sans
cesser d'etre des objets de veneration, et le siege d'un culte
particulier assez mysterieux, qui cache ses tendances cabalistiques
sous les apparences de la religion officielle.
Ce qu'on eut le plus difficilement extirpe de l'ame du paysan, c'est
certainement le culte du dieu Terme. Sans metaphore et sans epigramme,
le culte de la borne est invinciblement lie aux eternelles
preoccupations de l'homme dont la vie se renferme dans d'etroites
limites materielles. Son champ, son pre, sa terre, voila son monde.
C'est par la qu'il se sent affranchi de l'antique servage. C'est sur ce
coin du sol qu'il se croit maitre, parce qu'il s'y sent libre
relativement, et ne releve que de lui-meme. Cette pierre qui marque le
sillon ou commence pour le voisin son empire, c'est un symbole bien plus
qu'une barriere, c'est presque un dieu, c'est un objet sacre.
Dans nos campagnes du centre, ou les vieux us regnent peut-etre plus
qu'ailleurs, le respect de la propriete ne va pas tout seul, et les
paysans ont recours, les uns contre les autres, a la religion du passe,
beaucoup plus qu'au principe de l'equite publique. On ne se gene pas
beaucoup pour reculer tous les ans d'un sillon la limite de son champ
sur celui du voisin inattentif. Mais ce qu'on deplace ainsi, c'est une
pierre quelconque, que l'on met en evidence, et qu'au besoin on pourra
dire soulevee la par le hasard. Un jour ou le proprietaire lese
s'apercoit qu'on a gagne dix sillons sur sa terre; il s'inquiete, il se
plaint, il invoque le souvenir de ses autres _jouxtans_ (on appelle
encore la borne du nom l
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