'y allais retenir une chambre, car,
ceci entre nous, j'y passe mes vacances a me soigner quand j'ai augmente
mes maux en me fatiguant trop a guerir ceux des autres.
--Mais, Monsieur, devrais-je faire une cure semblable? dit avec effroi
ma grand'mere.
--C'est inutile, Madame. Les manifestations que vous accusez cederont
devant ma parole. Et puis vous avez pres de vous quelqu'un de tres
puissant que je constitue desormais votre medecin. C'est votre mal,
votre suractivite nerveuse. Je saurais la maniere de vous en guerir, je
me garderais bien de le faire. Il me suffit de lui commander. Je vois
sur votre table un ouvrage de Bergotte. Guerie de votre nervosisme, vous
ne l'aimeriez plus. Or, me sentirais-je le droit d'echanger les joies
qu'il procure contre une integrite nerveuse qui serait bien incapable de
vous les donner? Mais ces joies memes, c'est un puissant remede, le plus
puissant de tous peut-etre. Non, je n'en veux pas a votre energie
nerveuse. Je lui demande seulement de m'ecouter; je vous confie a elle.
Qu'elle fasse machine en arriere. La force qu'elle mettait pour vous
empecher de vous promener, de prendre assez de nourriture, qu'elle
l'emploie a vous faire manger, a vous faire lire, a vous faire sortir, a
vous distraire de toutes facons. Ne me dites pas que vous etes fatiguee.
La fatigue est la realisation organique d'une idee preconcue. Commencez
par ne pas la penser. Et si jamais vous avez une petite indisposition,
ce qui peut arriver a tout le monde, ce sera comme si vous ne l'aviez
pas, car elle aura fait de vous, selon un mot profond de M. de
Talleyrand, un bien portant imaginaire. Tenez, elle a commence a vous
guerir, vous m'ecoutez toute droite, sans vous etre appuyee une fois,
l'oeil vif, la mine bonne, et il y a de cela une demi-heure d'horloge et
vous ne vous en etes pas apercue. Madame, j'ai bien l'honneur de vous
saluer.
Quand, apres avoir reconduit le docteur du Boulbon, je rentrai dans la
chambre ou ma mere etait seule, le chagrin qui m'oppressait depuis
plusieurs semaines s'envola, je sentis que ma mere allait laisser
eclater sa joie et qu'elle allait voir la mienne, j'eprouvai cette
impossibilite de supporter l'attente de l'instant prochain ou, pres de
nous, une personne va etre emue qui, dans un autre ordre, est un peu
comme la peur qu'on eprouve quand on sait que quelqu'un va entrer pour
vous effrayer par une porte qui est encore fermee; je voulus dire un mot
a maman, mais ma voix se bri
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