rsonnelle. Il
n'avait pas tout de meme trop d'amour-propre, et comme, en tant
qu'"esprit superieur", il croyait de son devoir de ne pas ajouter foi a
la medecine, il reprit vite sa serenite philosophique.
Ma mere, par desir passionne d'etre rassuree par l'ami de Bergotte,
ajouta a l'appui de son dire qu'une cousine germaine de ma grand'mere,
en proie a une affection nerveuse, etait restee sept ans cloitree dans
sa chambre a coucher de Combray, sans se lever qu'une fois ou deux par
semaine.
--Vous voyez, Madame, je ne le savais pas, et j'aurais pu vous le dire.
--Mais, Monsieur, je ne suis nullement comme elle, au contraire; mon
medecin ne peut pas me faire rester couchee, dit ma grand'mere, soit
qu'elle fut un peu agacee par les theories du docteur ou desireuse de
lui soumettre les objections qu'on y pouvait faire, dans l'espoir qu'il
les refuterait, et que, une fois qu'il serait parti, elle n'aurait plus
en elle-meme aucun doute a elever sur son heureux diagnostic.
--Mais naturellement, Madame, on ne peut pas avoir, pardonnez-moi le
mot, toutes les vesanies; vous en avez d'autres, vous n'avez pas
celle-la. Hier, j'ai visite une maison de sante pour neurastheniques.
Dans le jardin, un homme etait debout sur un banc, immobile comme un
fakir, le cou incline dans une position qui devait etre fort penible.
Comme je lui demandais ce qu'il faisait la, il me repondit sans faire un
mouvement ni tourner la tete: "Docteur, je suis extremement rhumatisant
et enrhumable, je viens de prendre trop d'exercice, et pendant que je me
donnais betement chaud ainsi, mon cou etait appuye contre mes flanelles.
Si maintenant je l'eloignais de ces flanelles avant d'avoir laisse
tomber ma chaleur, je suis sur de prendre un torticolis et peut-etre une
bronchite." Et il l'aurait pris, en effet. "Vous etes un joli
neurasthenique, voila ce que vous etes", lui dis-je. Savez-vous la
raison qu'il me donna pour me prouver que non? C'est que, tandis que
tous les malades de l'etablissement avaient la manie de prendre leur
poids, au point qu'on avait du mettre un cadenas a la balance pour
qu'ils ne passassent pas toute la journee a se peser, lui on etait
oblige de le forcer a monter sur la bascule, tant il en avait peu envie.
Il triomphait de n'avoir pas la manie des autres, sans penser qu'il
avait aussi la sienne et que c'etait elle qui le preservait d'une autre.
Ne soyez pas blessee de la comparaison, Madame, car cet homme qui
n'osait pas tourner
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