epterai la sienne, et
laisserai longtemps encore a la mienne le nom d'amour, afin qu'elle ne
la meprise pas. Mon amour, mon pauvre dernier amour! je l'embaumerai
en silence, et mon coeur lui servira eternellement de sepulcre; il ne
s'ouvrira plus pour recevoir un amour vivant. Je sens la lassitude des
vieillards et le froid de la resignation qui envahissent toutes ses
fibres; Fernande seule peut le ranimer encore une fois, parce qu'il est
encore chaud de son etreinte. Mais Fernande laisse eteindre le feu sacre
et s'endort en pleurant; le foyer se refroidit, bientot la flamme se
sera envolee.
Tu me donnes un conseil bien impossible a suivre; tu mets le doigt sur
la plaie en disant que nous ne nous comprenons pas; mais tu m'engages a
me faire comprendre, et tu ne songes pas que l'amour ne se demontre pas
comme les autres sentiments. L'amitie repose sur des faits et se
prouve par des services; l'estime peut se soumettre a des calculs
mathematiques; l'amour vient de Dieu; il y retourne et il en redescend
au gre d'une puissance qui n'est pas dans les mains de l'homme. Pourquoi
ne te fais-tu pas comprendre d'Octave? par les memes raisons qui font
que Fernande ne me comprend plus? Octave n'a pu atteindre a ce degre
d'enthousiasme qui fait l'amour grand et sublime; Fernande l'a
deja perdu. Le soupcon a empeche l'amour d'Octave de prendre son
developpement; un peu d'egoisme a paralyse celui de Fernande. Comment
veux-tu que je lui prouve qu'elle doit me preferer a elle-meme et me
cacher ses souffrances comme je lui cache les miennes? J'ai la force
de renfermer ma douleur et d'etouffer mes legers ressentiments; chaque
jour, apres quelques instants de lutte solitaire, je reviens a elle sans
rancune, pret a oublier tout et a ne lui adresser jamais une plainte;
mais je retrouve ses yeux humides, son coeur oppresse et le reproche
sur ses levres; non ce reproche evident et grossier qui ressemble a
l'injure, et qui me guerirait sur-le-champ et de l'amour et de l'amitie,
mais le reproche delicat, timide, qui fait une blessure imperceptible
et profonde. Ce reproche-la, je le comprends, je le recueille; il entre
jusqu'au fond de mon coeur. Oh! quelle souffrance pour l'homme qui
voudrait au prix de sa vie ne l'avoir jamais fait naitre, et qui sent
dans les plus secrets replis de son ame qu'il ne l'a jamais merite! Elle
souffre, la malheureuse enfant, parce qu'elle est faible, parce qu'elle
s'abandonne a ces miserables chagrins que j'etouff
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