enceinte et je souffre beaucoup. Les anxietes auxquelles je m'abandonne
me rendent encore plus malade. Il faut que j'en finisse; il faut que je
me jette aux pieds de Jacques, et que je le conjure de me pardonner mes
folies. Cela ne peut pas m'humilier: ce n'est pas a mon mari, c'est a
mon amant que s'adresseront mes prieres. J'ai offense se delicatesse,
j'ai afflige son coeur; il faut qu'une fois pour toutes il me pardonne,
et que tout soit oublie. Il y a bien des jours que nous ne nous
expliquons plus; cela me tue. J'ai l'ame pleine de sanglots qui
m'etouffent; il faut que je les repande dans son sein, qu'il me rende
toute sa tendresse, et que je recouvre ce bonheur pur et enivrant que
j'ai deja goute.
Dimanche matin.
O mon amie, que je suis malheureuse! rien ne me reussit, et la fatalite
fait tourner a mal tout ce que je tente pour me sauver. Hier, Jacques
est rentre a six heures et demie; il avait l'air parfaitement calme, et
m'a embrassee comme s'il eut oublie nos petites altercations. Je connais
Jacques a present; je sais quels efforts il fait sur lui-meme pour
vaincre son deplaisir; je sais que la douleur concentree est un fer
rouge qui devore les entrailles. Je me suis fait violence pour diner
tranquillement; mais, aussitot que nous avons ete seuls, je me suis
jetee a ses genoux en fondant en larmes. Sais-tu ce qu'il a fait? Au
lieu de me tendre les bras et d'essuyer mes pleurs, il s'est degage de
mes caresses et s'est leve d'un air furieux; j'ai cache mon visage
dans mes mains pour ne pas le voir dans cet etat; j'ai entendu sa voix
tremblante de colere qui me disait: "Levez-vous, et ne vous mettez
jamais ainsi devant moi." J'ai senti alors le courage du desespoir. "Je
resterai ainsi, me suis-je ecriee, jusqu'a ce que vous m'ayez dit ce que
j'ai fait pour perdre votre amour.--Tu es folle, a-t-il repondu en se
radoucissant, et tu ne sais qu'imaginer pour troubler notre paix et
gater notre bonheur. Expliquons-nous, parlons, pleurons, puisqu'il te
faut toutes ces emotions pour alimenter ton amour; mais, au nom du ciel,
releve-toi, et que je ne te voie plus ainsi." J'ai trouve cette reponse
bien dure et bien froide, et je suis retombee sur moi-meme a demi brisee
d'abattement et de douleur. "Faut-il que je te releve malgre toi? a-t-il
dit en me prenant dans ses bras et en me portant sur le sofa; quelle
rage ont donc toutes les femmes de jeter ainsi leur ame en dehors comme
si elles etaient sur un theatre! Souff
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