rme dans toutes les occasions serieuses de ta vie.
Fernande, avec une organisation moins puissante, a eu a combattre les
funestes influences des prejuges au milieu desquels elle a grandi;
meilleure peut-etre que tout ce qui appartient a la societe, elle ne
pourra jamais se defaire impunement des idees que la societe revere. On
ne lui a pas fait, comme a toi, un corps et une ame de fer; on lui a
parle de prudence, de raison, de certains calculs pour eviter certaines
douleurs, et de certaines reflexions pour arriver a un certain bien-etre
que la societe permet aux femmes a de certaines conditions. On ne lui a
pas dit comme a toi: "Le soleil est apre et le vent es rude; l'homme est
fait pour braver la tempete sur mer, la femme pour garder les troupeaux
sur la montagne brulante. L'hiver, viennent la neige et la glace, tu
iras dans les memes lieux, et tu tacheras de te rechauffer a un feu que
tu allumeras avec les branches seches de la foret; si tu ne veux pas
le faire, tu supporteras le froid comme tu pourras. Voici la montagne,
voici la mer, voici le soleil; le soleil brule, la mer engloutit, la
montagne fatigue. Quelquefois les betes sauvages emportent les troupeaux
et l'enfant qui les garde: tu vivras au milieu de tout cela comme tu
pourras; si tu es sage et brave, on te donnera des souliers pour te
parer le dimanche." Quelles lecons pour une femme qui devait un jour
vivre dans la societe et profiter des raffinements de la civilisation!
Au lieu de cela, on apprenait a Fernande comment on fuit le soleil, le
vent et la fatigue. Quant aux dangers que tu affrontais tranquillement,
elle savait a peine s'ils pouvaient exister dans la contree ou elle
vivait; elle en lisait avec effroi la relation dans quelque voyage
au Nouveau Monde. Son education morale fut la consequence de cette
education physique. Nul n'eut la sagesse de lui dire: "La vie est aride
et terrible, le repos est une chimere, la prudence est inutile; la
raison seule ne sert qu'a dessecher le coeur; il n'y a qu'une vertu,
l'eternel sacrifice de soi-meme." C'est avec cette rudesse que je te
traitai quand tu m'adressas les premieres questions; c'etait te rejeter
bien loin des contes de fee dont tu t'etais nourrie; mais cet amour du
merveilleux n'avait rien gate en toi. Quand je te retrouvai au couvent,
tu ne croyais deja plus aux prodiges, mais tu les aimais encore, parce
que ton imagination y trouvait la personnification allegorique de
toutes les idees d'equite che
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