ne. Aimons toujours du plus haut
point que nous puissions atteindre. N'aimons pas par pitie lorsqu'on peut
aimer par amour; ne pardonnons pas par bonte lorsqu'on peut pardonner par
justice; n'apprenons pas a consoler lorsque l'on peut apprendre a
respecter. Ah! soyons attentifs a ameliorer sans relache la qualite de
l'amour que nous donnons aux hommes! Une coupe de cet amour prise sur les
sommets en vaut cent que l'on puise aux citernes stagnantes de la charite
ordinaire. Et si celui que vous n'aimez plus par pitie ou simplement parce
qu'il pleure, doit ignorer, jusqu'a la fin, que vous l'aimez en ce moment
pour l'avoir ennobli en meme temps que vous-meme, qu'importe apres tout?
Vous avez fait ce que vous conceviez comme le meilleur, encore que le
meilleur puisse n'etre pas utile. Ne faut-il pas toujours agir en cette vie
comme si le Dieu que desire le plus haut desir de notre coeur nous
contemplait sans cesse?
LXXII
Mais revenons aux grandes lois incoherentes. Il n'y a pas longtemps, dans
une catastrophe affreuse[1], le destin manifesta une fois de plus et d'une
maniere plus eclatante que jamais, ce que les hommes appellent son
injustice, son aveuglement ou son independance. Il parut y punir
expressement la seule des vertus exterieures que la raison nous ait
laissee, je veux dire l'amour du prochain. Il est probable qu'il y avait
quelques justes imparfaits dans l'enceinte ou la fatalite descendit ce
jour-la. Il parait meme certain qu'il s'y trouvait au moins un juste
veritable et desinteresse. C'est la presence presque certaine de ce juste
qui pose dans toute sa purete la question terrible que nous ne pouvons nous
empecher de faire. S'il n'avait pas ete la, nous pourrions nous dire
que nous ne savons pas de quelle somme de justice souveraine est faite une
injustice qui nous parait enorme. Nous pourrions nous dire que ce qu'on
appelait la-bas _charite_ n'etait peut-etre que la fleur trop audacieuse
d'une injustice permanente. L'homme ne peut se decider a croire qu'en tout
ce qui est exterieur il n'ait a lutter et a compter qu'avec des faits et
des forces aveugles: l'eau, le feu, l'air, les lois de la pesanteur et
quelques autres. Nous avons besoin d'excuser le hasard; et quand nous
l'accusons formellement, n'est-ce pas comme si nous l'excusions dans le
passe et l'avenir, avec l'etonnement penible que nous eprouvons en
apprenant qu'un homme de bien a commis un acte bas et vil? Nous nous
plaisons a creer un has
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