qu'il faut attacher a
ces biographies contemporaines faites par inductions, par deductions et
par suppositions, plus ou moins ingenieuses, plus ou moins gratuites. La
mienne surtout n'a aucune chance d'etre fidele de la part d'un ecrivain
dont je n'ai pas l'honneur d'etre connue, et qui n'a recu de moi, ni des
personnes qui me connaissent reellement, aucune espece de communication.
Ces biographies contemporaines peuvent avoir une valeur serieuse comme
critique litteraire; mais comme document historique, on peut dire
qu'elles n'existent pas.
Je le prouverais facilement en prenant d'un bout a l'autre celle dont je
suis le sujet. Il ne s'y rencontre pas un fait exact, pas meme mon nom,
pas meme mon age. Je ne m'appelle pas Marie et je suis nee, non en 1805,
mais en 1804. Ma grand'mere n'a jamais ete a l'Abbaye-aux-Bois. Mon pere
n'etait pas colonel. Ma grand'mere mettait l'Evangile beaucoup au-dessus
du _Contrat social_. A quinze ans, je ne maniais pas un fusil, je ne
montais pas a cheval, j'etais au couvent. Mon mari n'etait ni vieux ni
chauve. Il avait vingt-sept ans et beaucoup de cheveux. Je n'ai jamais
inspire de passion au moindre armateur de Bordeaux. _Le vingtieme
chapitre d'un roman celebre_ est un chapitre de roman. Il est vraiment
trop facile de construire la vie d'un ecrivain avec des chapitres de
roman, et il faut le supposer bien naif ou bien maladroit pour croire
que, si, dans ses livres, il faisait allusion a des emotions ou a des
situations personnelles, il ne les entourerait d'aucune fiction qui
deroutat completement le lecteur sur le compte de ses personnages et sur
le sien propre.
Le trait que vous rapportez de M. Roret est tres honorable et je l'en
crois tres capable; mais il n'a pu m'apporter mille francs apres le
succes en dechirant le traite primitif, puisque je n'ai jamais eu le
plaisir de traiter avec lui pour quoi que ce soit.
M. de Keratry ni M. Rabbe n'ont ete appeles par M. Delatouche a juger
_Indiana_. D'abord M. Delatouche jugeait lui-meme. Ensuite il n'avait
aucune espece, de relations avec M. de Keratry. Je n'ai pas eu, apres le
succes d'_Indiana_, un appartement ni des receptions. Pendant cinq ou
six ans, j'ai habite la meme mansarde et recu les memes amis intimes.
J'arrive au premier des faits que je tiens a dementir, faisant tres bon
marche de tous les autres. Je vous citerai, permettez-le-moi, monsieur.
"Au milieu de cet enivrement du succes, elle eut le tort d'oublier le
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