, sur le chemin qui monte, les sonnailles du mulet de
notre ferme m'apportant les provisions de quinzaine, et que je voyais
apparaitre peu a peu, au-dessus de la cote, la tete eveillee du petit
_miarro_ (garcon de ferme), ou la coiffe rousse de la vieille tante
Norade, j'etais vraiment bien heureux. Je me faisais raconter les
nouvelles du pays d'en bas, les baptemes, les mariages; mais ce qui
m'interessait surtout, c'etait de savoir ce que devenait la fille de mes
maitres, notre demoiselle Stephanette, la plus jolie qu'il y eut a dix
lieues a la ronde. Sans avoir l'air d'y prendre trop d'interet, je
m'informais si elle allait beaucoup aux fetes, aux veillees, s'il lui
venait toujours de nouveaux galants; et a ceux qui me demanderont ce que
ces choses-la pouvaient me faire, a moi pauvre berger de la montagne, je
repondrai, que j'avais vingt ans et que cette Stephanette etait ce que
j'avais vu de plus beau dans ma vie.
Or, un dimanche que j'attendais les vivres de quinzaine, il se trouva
qu'ils n'arriverent que tres tard. Le matin je me disais: "C'est la
faute de la grand'messe;" puis, vers midi, il vint un gros orage, et je
pensai que la mule n'avait pas pu se mettre en route a cause du mauvais
etat des chemins. Enfin, sur les trois heures, le ciel etant lave, la
montagne luisante d'eau et de soleil, j'entendis parmi l'egouttement des
feuilles et le debordement des ruisseaux gonfles les sonnailles de la
mule, aussi gaies, aussi alertes qu'un grand carillon de cloches un jour
de Paques. Mais ce n'etait pas le petit _miarro_, ni la vieille Norade
qui la conduisait. C'etait... devinez qui!... notre demoiselle; mes
enfants! notre demoiselle en personne, assise droite entre les sacs
d'osier, toute rose de l'air des montagnes et du rafraichissement de
l'orage.
Le petit etait malade, tante Norade en vacances chez ses enfants. La
belle Stephanette m'apprit tout ca, en descendant de sa mule, et aussi
qu'elle arrivait tard parce qu'elle s'etait perdue en route; mais a la
voir si bien endimanchee, avec son ruban a fleurs, sa jupe brillante
et ses dentelles, elle avait plutot l'air de s'etre attardee a quelque
danse que d'avoir cherche son chemin dans les buissons. O la mignonne
creature! Mes yeux ne pouvaient se lasser de la regarder. Il est vrai
que je ne l'avais jamais vue de si pres. Quelquefois l'hiver, quand les
troupeaux etaient descendus dans la plaine et que je rentrais le soir
a la ferme pour souper, elle traversait la
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