montagne la tourmentait beaucoup, surtout a cause de l'inquietude des
siens. Moi, je la rassurais de mon mieux:
--En juillet, les nuits sont courtes, maitresse... Ce n'est qu'un
mauvais moment.
Et j'allumai vite un grand feu pour secher ses pieds et sa robe toute
trempee de l'eau de la Sorgue. Ensuite j'apportai devant elle du lait,
des fromageons; mais la pauvre petite ne songeait ni a se chauffer, ni
a manger, et de voir les grosses larmes qui montaient dans ses yeux,
j'avais envie de pleurer, moi aussi.
Cependant la nuit etait venue tout a fait. Il ne restait plus sur la
crete des montagnes qu'une poussiere de soleil, une vapeur de lumiere du
cote du couchant. Je voulus que notre demoiselle entrat se reposer dans
le _parc_. Ayant etendu sur la paille fraiche une belle peau toute
neuve, je lui souhaitai la bonne nuit, et j'allai m'asseoir dehors
devant la porte... Dieu m'est temoin que, malgre le feu d'amour qui me
brulait le sang, aucune mauvaise pensee ne me vint; rien qu'une grande
fierte de songer que dans un coin du _parc_, tout pres du troupeau
curieux qui la regardait dormir, la fille de mes maitres,--comme une
brebis plus precieuse et plus blanche que toutes les autres,--reposait,
confiee a ma garde. Jamais le ciel ne m'avait paru si profond, les
etoiles si brillantes... Tout a coup, la claire-voie du _parc_ s'ouvrit
et la belle Stephanette parut. Elle ne pouvait pas dormir. Les betes
faisaient crier la paille en remuant, ou belaient dans leurs reves. Elle
aimait mieux venir pres du feu. Voyant cela, je lui jetai ma peau de
bique sur les epaules, j'activai la flamme, et nous restames assis l'un
pres de l'autre sans parler. Si vous avez jamais passe la nuit a
la belle etoile, vous savez qu'a l'heure ou nous dormons, un monde
mysterieux s'eveille dans la solitude et le silence. Alors les sources
chantent bien plus clair, les etangs allument des petites flammes. Tous
les esprits de la montagne vont et viennent librement; et il y a dans
l'air des frolements, des bruits imperceptibles, comme si l'on entendait
les branches grandir, l'herbe pousser. Le jour, c'est la vie des etres;
mais la nuit, c'est la vie des choses. Quand on n'en a pas l'habitude,
ca fait peur... Aussi notre demoiselle etait toute frissonnante et
se serrait contre moi au moindre bruit. Une fois, un cri long,
melancolique, parti de l'etang qui luisait plus bas, monta vers nous en
ondulant. Au meme instant une belle etoile filante glissa par
|