faire et debauchait les apprentis.
Pendant six mois, on le vit trainer sa jaquette dans tous les ruisseaux
d'Avignon, mais principalement du cote de la maison papale; car le drole
avait depuis longtemps son idee sur la mule du Pape, et vous allez
voir que c'etait quelque chose de malin... Un jour que Sa Saintete se
promenait toute seule sous les remparts avec sa bete, voila mon Tistet
qui l'aborde, et lui dit en joignant les mains, d'un air d'admiration:
--Ah mon Dieu! grand Saint-Pere, qu'elle brave mule vous avez la!...
Laissez un peu que je la regarde... Ah! mon Pape, la belle mule!...
L'empereur d'Allemagne n'en a pas une pareille.
Et il la caressait, et il lui parlait doucement comme a une demoiselle:
--Venez ca, mon bijou, mon tresor, ma perle fine...
Et le bon Pape, tout emu, se disait dans lui-meme:
--Quel bon petit garconnet!... Comme il est gentil avec ma mule!
Et puis le lendemain savez-vous ce qui arriva? Tistet Vedene troqua sa
vieille jaquette jaune contre une belle aube en dentelles, un camail de
soie violette, des souliers a boucles, et il entra dans la maitrise du
Pape, ou jamais avant lui on n'avait recu que des fils de nobles et
des neveux de cardinaux... Voila ce que c'est que l'intrigue!... Mais
Tistet ne s'en tint pas la.
Une fois au service du Pape, le drole continua le jeu qui lui avait si
bien reussi. Insolent avec tout le monde, il n'avait d'attentions ni
de prevenances que pour la mule, et toujours on le rencontrait par les
cours du palais avec une poignee d'avoine ou une bottelee de sainfoin,
dont il secouait gentiment les grappes roses en regardant le balcon du
Saint-Pere, d'un air de dire:
"Hein!... pour qui ca?..." Tant et tant qu'a la fin le bon Pape, qui se
sentait devenir vieux, en arriva a lui laisser le soin de veiller sur
l'ecurie et de porter a la mule son bol de vin a la francaise; ce qui ne
faisait pas rire les cardinaux.
* * * * *
Ni la mule non plus, cela ne la faisait pas rire... Maintenant, a
l'heure de son vin, elle voyait toujours arriver chez elle cinq ou six
petits clercs de maitrise qui se fourraient vite dans la paille avec
leur camail et leurs dentelles; puis, au bout d'un moment, une bonne
odeur chaude de caramel et d'aromates emplissait l'ecurie, et Tistet
Vedene apparaissait portant avec precaution le bol de vin a la
francaise. Alors le martyre de la pauvre bete commencait.
Ce vin parfume qu'elle aimait tant, qui
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