que je voulais, c'est-a-dire
l'histoire de ma mule et de ce fameux coup de pied garde pendant sept
ans. Le conte en est joli quoique un peu naif, et je vais essayer de
vous le dire tel que je l'ai lu hier matin dans un manuscrit couleur du
temps qui sentait bon la lavande seche et avait de grands fils de la
Vierge pour signets.
* * * * *
Qui n'a pas vu Avignon du temps des Papes, n'a rien vu. Pour la gaiete,
la vie, l'animation, le train des fetes, jamais une ville pareille.
C'etaient, du matin au soir, des processions, des pelerinages, les
rues jonchees de fleurs, tapissees de hautes lices, des arrivages de
cardinaux par le Rhone, bannieres au vent, galeres pavoisees, les
soldats du Pape qui chantaient du latin sur les places, les crecelles
des freres queteurs; puis, du haut en bas des maisons qui se pressaient
en bourdonnant autour du grand palais papal comme des abeilles autour
de leur ruche, c'etait encore le tic tac des metiers a dentelles, le
va-et-vient des navettes tissant l'or des chasubles, les petits marteaux
des ciseleurs de burettes, les tables d'harmonie qu'on ajustait chez les
luthiers, les cantiques des ourdisseuses; par la-dessus le bruit des
cloches, et toujours quelques tambourins qu'on entendait ronfler,
la-bas, du cote du pont. Car chez nous, quand le peuple est content, il
faut qu'il danse, il faut qu'il danse; et comme en ce temps-la les
rues de la ville etaient trop etroites pour la farandole, fifres et
tambourins se postaient sur le pont d'Avignon, au vent frais du Rhone,
et jour et nuit l'on y dansait, l'on y dansait... Ah! l'heureux temps!
l'heureuse ville! Des hallebardes qui ne coupaient pas; des prisons
d'Etat ou l'on mettait le vin a rafraichir. Jamais de disette; jamais
de guerre... Voila comment les Papes du Comtat savaient gouverner leur
peuple; voila pourquoi leur peuple les a tant regrettes!...
Il y en a un surtout, un bon vieux, qu'on appelait Boniface... Oh!
celui-la, que de larmes on a versees en Avignon quand il est mort!
C'etait un prince si aimable, si avenant! Il vous riait si bien du haut
de sa mule! Et quand vous passiez pres de lui,--fussiez-vous un pauvre
petit tireur de garance ou le grand viguier de la ville,--il vous
donnait sa benediction si poliment! Un vrai pape d'Yvetot, mais d'un
Yvetot de Provence, avec quelque chose de fin dans le rire, un brin
de marjolaine a sa barrette, et pas la moindre Jeanneton... La seule
Jeanneton qu'o
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