tations de la mer.
La priere finie, nous revinmes tristement vers le coin de l'ile ou la
barque etait amarree. En notre absence, les matelots n'avaient pas perdu
leur temps. Nous trouvames un grand feu flambant a l'abri d'une roche,
et la marmite qui fumait. On s'assit en rond, les pieds a la flamme, et
bientot chacun eut sur ses genoux, dans une ecuelle de terre rouge, deux
tranches de pain noir arrosees largement. Le repas fut silencieux: nous
etions mouilles, nous avions faim, et puis le voisinage du cimetiere...
Pourtant, quand les ecuelles furent videes, on alluma les pipes et on se
mit a causer un peu. Naturellement, on parlait de la _Semillante_.
--Mais enfin, comment la chose s'est-elle passee? demandai-je au patron,
qui, la tete dans ses mains, regardait la flamme d'un air pensif.
--Comment la chose s'est passee? me repondit le bon Lionetti avec un
gros soupir, helas! monsieur, personne au monde ne pourrait le dire.
Tout ce que nous savons, c'est que la _Semillante_ chargee de troupes
pour la Crimee, etait partie de Toulon, la veille au soir, avec le
mauvais temps. La nuit, ca se gata encore. Du vent, de la pluie, la mer
enorme comme on ne l'avait jamais vue... Le matin, le vent tomba un
peu, mais la mer etait toujours dans tous ses etats, et avec cela une
sacree brume du diable a ne pas distinguer un fanal a quatre pas... Ces
brumes-la, monsieur, on ne se doute pas comme c'est traitre... Ca ne
fait rien, j'ai idee que la _Semillante_ a du perdre son gouvernail dans
la matinee; car, il n'y a pas de brume qui tienne, sans une avarie,
jamais le capitaine ne serait venu s'aplatir ici contre. C'etait un rude
marin, que nous connaissions tous. Il avait commande la station en Corse
pendant trois ans, et savait sa cote aussi bien que moi, qui ne sais pas
autre chose.
--Et a quelle heure pense-t-on que la _Semillante_ a peri?
--Ce doit etre a midi; oui, monsieur, en plein midi... Mais dame! avec
la brume de mer, ce plein midi-la ne valait guere mieux qu'une nuit
noire comme la gueule d'un loup... Un douanier de la cote m'a raconte
que ce jour-la, vers onze heures et demie, etant sorti de sa maisonnette
pour rattacher ses volets, il avait eu sa casquette emportee d'un coup
de vent, et qu'au risque d'etre enleve lui-meme par la lame, il s'etait
mis a courir apres, le long du rivage, a quatre pattes. Vous comprenez!
les douaniers ne sont pas riches, et une casquette, ca coute cher. Or
il paraitrait qu'a un moment
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