mer montait. Bientot on ne voyait plus que l'ourlet
blanc de l'ecume autour de l'ile... Tout a coup, au-dessus de ma tete,
jaillissait un grand flot de lumiere douce. Le phare etait allume.
Laissant toute l'ile dans l'ombre, le clair rayon allait tomber au large
sur la mer, et j'etais la perdu dans la nuit, sous ces grandes ondes
lumineuses qui m'eclaboussaient a peine en passant... Mais le vent
fraichissait encore. Il fallait rentrer. A tatons, je fermais la grosse
porte, j'assurais les barres de fer; puis, toujours tatonnant, je
prenais un petit escalier de fonte qui tremblait et sonnait sous mes
pas, et j'arrivais au sommet du phare. Ici, par exemple, il y en avait
de la lumiere.
Imaginez une lampe carcel gigantesque a six rangs de meches, autour de
laquelle pivotent lentement les parois de la lanterne, les unes remplies
par une enorme lentille de cristal, les autres ouvertes sur un grand
vitrage immobile qui met la flamme a l'abri du vent... En entrant
j'etais ebloui. Ces cuivres, ces etains, ces reflecteurs de metal blanc,
ces murs de cristal bombe qui tournaient, avec des grands cercles
bleuatres, tout ce miroitement, tout ce cliquetis de lumieres, me
donnait un moment de vertige.
Peu a peu, cependant, mes yeux s'y faisaient, et je venais m'asseoir
au pied meme de la lampe, a cote du gardien qui lisait son Plutarque a
haute voix, de peur de s'endormir...
Au dehors, le noir, l'abime. Sur le petit balcon qui tourne autour du
vitrage, le vent court comme un fou, en hurlant. Le phare craque, la mer
ronfle. A la pointe de l'ile, sur les brisants, les lames font comme des
coups de canon... Par moments un doigt invisible frappe aux carreaux:
quelque oiseau de nuit, que la lumiere attire, et qui vient se casser la
tete contre le cristal...
Dans la lanterne etincelante et chaude, rien que le crepitement de la
flamme, le bruit de l'huile qui s'egoutte, de la chaine qui se devide;
et une voix monotone psalmodiant la vie de Demetrius de Phalere...
* * * * *
A minuit, le gardien se levait, jetait un dernier coup d'oeil a ses
meches, et nous descendions. Dans l'escalier on rencontrait le camarade
du second quart qui montait en se frottant les yeux; on lui passait la
gourde, le Plutarque... Puis, avant de gagner nos lits, nous entrions
un moment dans la chambre du fond, toute encombree de chaines, de gros
poids, de reservoirs d'etain, de cordages, et la, a la lueur de sa
petite lampe,
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