a nation, il avait remplace ses vetements napolitains par une
jaquette bordee de rose a la Provencale, et sur son chaperon tremblait
une grande plume d'ibis de Camargue.
Sitot entre, le premier moutardier salua d'un air galant, et se dirigea
vers le haut perron, ou le Pape l'attendait pour lui remettre les
insignes de son grade: la cuiller de buis jaune et l'habit de safran. La
mule etait au bas de l'escalier, toute harnachee et prete a partir
pour la vigne... Quand il passa pres d'elle, Tistet Vedene eut un bon
sourire et s'arreta pour lui donner deux ou trois petites tapes amicales
sur le dos, en regardant du coin de l'oeil si le Pape le voyait. La
position etait bonne... La mule prit son elan:
--Tiens! attrape, bandit! Voila sept ans que je te le garde!
Et elle vous lui detacha un coup de sabot si terrible, si terrible, que
de Pamperigouste meme on en vit la fumee, un tourbillon de fumee blonde
ou voltigeait une plume d'ibis; tout ce qui restait de l'infortune
Tistet Vedene!...
Les coups de pied de mule ne sont pas aussi foudroyants d'ordinaire;
mais celle-ci etait une mule papale; et puis, pensez donc! elle le lui
gardait depuis sept ans... Il n'y a pas de plus bel exemple de rancune
ecclesiastique.
LE PHARE DES SANGUINAIRES
Cette nuit je n'ai pas pu dormir. Le mistral etait en colere, et les
eclats de sa grande voix m'ont tenu eveille jusqu'au matin. Balancant
lourdement ses ailes mutilees qui sifflaient a la bise comme les agres
d'un navire, tout le moulin craquait. Des tuiles s'envolaient de sa
toiture en deroute. Au loin, les pins serres dont la colline est
couverte s'agitaient et bruissaient dans l'ombre. On se serait cru en
pleine mer...
Cela m'a rappele tout a fait mes belles insomnies d'il y a trois ans,
quand j'habitais le phare des Sanguinaires, la-bas, sur la cote corse, a
l'entree du golfe d'Ajaccio.
Encore un joli coin que j'avais trouve la pour rever et pour etre seul.
Figurez-vous une ile rougeatre et d'aspect farouche; le phare a une
pointe, a l'autre une vieille tour genoise ou, de mon temps, logeait un
aigle. En bas, au bord de l'eau, un lazaret en ruine, envahi de partout
par les herbes; puis, des ravins, des maquis, de grandes roches,
quelques chevres sauvages, de petits chevaux corses gambadant la
criniere au vent; enfin la-haut, tout en haut, dans un tourbillon
d'oiseaux de mer, la maison du phare, avec sa plate-forme en maconnerie
blanche, ou les gardiens se promenent
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