A l'heure meme ou j'ecris ces lignes, je viens d'apprendre la mort
miserable du pauvre Charles Barbara; et mon moulin en est tout en deuil.
Adieu les courlis et les cigales! Je n'ai plus le coeur a rien de
gai... Voila pourquoi, madame, au lieu du joli conte badin que je
m'etais promis de vous faire, vous n'aurez encore aujourd'hui qu'une
legende melancolique.
* * * * *
Il etait une fois un homme qui avait une cervelle d'or; oui, madame, une
cervelle toute en or. Lorsqu'il vint au monde, les medecins pensaient
que cet enfant ne vivrait pas, tant sa tete etait lourde et son crane
demesure. Il vecut cependant et grandit au soleil comme un beau plant
d'olivier; seulement sa grosse tete l'entrainait toujours, et c'etait
pitie de le voir se cogner a tous les meubles en marchant... Il tombait
souvent. Un jour, il roula du haut d'un perron et vint donner du front
contre un degre de marbre, ou son crane sonna comme un lingot. On
le crut mort; mais, en le relevant, on ne lui trouva qu'une legere
blessure, avec deux ou trois gouttelettes d'or caillees dans ses cheveux
blonds. C'est ainsi que les parents apprirent que l'enfant avait une
cervelle en or.
La chose fut tenue secrete; le pauvre petit lui-meme ne se douta de
rien. De temps en temps, il demandait pourquoi on ne le laissait plus
courir devant la porte avec les garconnets de la rue.
--On vous volerait, mon beau tresor! lui repondait sa mere...
Alors le petit avait grand'peur d'etre vole; il retournait jouer tout
seul, sans rien dire, et se trimbalait lourdement d'une salle a
l'autre...
A dix-huit ans seulement, ses parents lui revelerent le don monstrueux
qu'il tenait du destin; et, comme ils l'avaient eleve et nourri
jusque-la, ils lui demanderent en retour un peu de son or. L'enfant
n'hesita pas; sur l'heure meme,--comment? par quels moyens? la legende
ne l'a pas dit,--il s'arracha du crane un morceau d'or massif, un
morceau gros comme une noix, qu'il jeta fierement sur les genoux de sa
mere... Puis tout ebloui des richesses qu'il portait dans la tete, fou
de desirs, ivre de sa puissance, il quitta la maison paternelle et s'en
alla par le monde en gaspillant son tresor.
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Du train dont il menait sa vie, royalement, et semant l'or sans compter,
on aurait dit que sa cervelle etait inepuisable... Elle s'epuisait
cependant, et a mesure on pouvait voir les yeux s'eteindre, la joue
devenir
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