temps en temps il venait voir si elle etait bien. La chevre se trouvait
tres heureuse et broutait l'herbe de si bon coeur que M. Seguin etait
ravi.
--Enfin, pensait le pauvre homme, en voila une qui ne s'ennuiera pas
chez moi!
M. Seguin se trompait, sa chevre s'ennuya.
* * * * *
Un jour, elle se dit en regardant la montagne:
--Comme on doit etre bien la-haut! Quel plaisir de gambader dans la
bruyere, sans cette maudite longe qui vous ecorche le cou!... C'est bon
pour l'ane ou pour le boeuf de brouter dans un clos!... Les chevres, il
leur faut du large.
A partir de ce moment, l'herbe du clos lui parut fade. L'ennui lui vint.
Elle maigrit, son lait se fit rare. C'etait pitie de la voir tirer tout
le jour sur sa longe, la tete tournee du cote de la montagne, la narine
ouverte, en faisant _Me_!... tristement.
M. Seguin s'apercevait bien que sa chevre avait quelque chose, mais
il ne savait pas ce que c'etait... Un matin, comme il achevait de la
traire, la chevre se retourna et lui dit dans son patois:
--Ecoutez, monsieur Seguin, je me languis chez vous, laissez-moi aller
dans la montagne.
--Ah! mon Dieu!... Elle aussi! cria M. Seguin stupefait, et du coup il
laissa tomber son ecuelle; puis, s'asseyant dans l'herbe a cote de sa
chevre:
--Comment Blanquette, tu veux me quitter!
Et Blanquette repondit:
--Oui, monsieur Seguin.
--Est-ce que l'herbe te manque ici?
--Oh! non! monsieur Seguin.
--Tu es peut-etre attachee de trop court; veux-tu que j'allonge la
corde!
--Ce n'est pas la peine, monsieur Seguin.
--Alors, qu'est-ce qu'il te faut! qu'est-ce que tu veux?
--Je veux aller dans la montagne, monsieur Seguin.
--Mais, malheureuse, tu ne sais pas qu'il y a le loup dans la
montagne... Que feras-tu quand il viendra?...
--Je lui donnerai des coups de corne, monsieur Seguin.
--Le loup se moque bien de tes cornes. Il m'a mange des biques autrement
encornees que toi... Tu sais bien, la pauvre vieille Renaude qui etait
ici l'an dernier? une maitresse chevre, forte et mechante comme un bouc.
Elle s'est battue avec le loup toute la nuit... puis, le matin, le loup
l'a mangee.
--Pecaire! Pauvre Renaude!... Ca ne fait rien, monsieur Seguin,
laissez-moi aller dans la montagne.
--Bonte divine!... dit M. Seguin; mais qu'est-ce qu'on leur fait donc a
mes chevres? Encore une que le loup va me manger... Eh bien, non... je
te sauverai malgre toi, coquine! et de peu
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