es gouts seront inconstants; un fonds d'heureuse
insouciance lui fera, je pense, prendre son parti sur tout assez
promptement. Voila ses qualites et ses defauts, autant que je puis en
juger, et je tacherai d'entretenir les unes et d'adoucir les autres.
Quant a Leontine[1], vous la verrez. Elle etait charmante entre mes
mains. Je savais la prendre. J'ai eu beaucoup de chagrin a me separer
d'elle et je m'inquiete de son voyage. Je sens qu'elle me manque et je
crains qu'elle ne soit pas aussi bien qu'avec moi.
Hippolyte vous dira que nous attendons le retour de James avec sa
femme; mais il ne vous dira peut-etre pas les folies qu'il faisait
toute la journee ici avec son _ancien_, son _commandant_ Duplessis[2].
J'aurais bien envie de vous regaler d'une certaine histoire de
_portemanteau_, si je ne craignais de vous fatiguer de ces
enfantillages. Vous pourrez cependant le taquiner vertement, lorsque
vous le verrez boire a table, en lui disant: _Est-ce que tu as envie
de faire ton portemanteau aujourd'hui?_ C'est le mot d'ordre, et vous
obtiendrez sa confession.
Adieu, ma chere maman. Clotilde est donc decidement grosse? j'en suis
ravie. Caroline ne m'ecrit point. Oscar est-il mieux portant et plus
fort? Je vous embrasse bien tendrement; donnez-moi de vos nouvelles et
croyez en vos enfants.
AURORE.
Comment traitez-vous l'ami _vicomte_? Faites-lui mes amities sinceres,
si toutefois vous etes contente de lui.
[1] Fille d'Hipolyte Chatiron et niece de George Sand.
[2] Ex-colonel de chasseurs a cheval, ami du colonel Maurice Dupin,
de George Sand et du colonel Dudevant, son beau pere.
XI
A M. CARON, A PARIS
Nohant, 19 novembre 1826.
Mon cher Caron,
Je partage bien sincerement votre douleur, dont j'apprecie l'amertume.
Je sais que vous etiez le modele des bons fils et que jamais larmes ne
furent plus vraies que les votres. Je n'essayerai point avec vous les
vaines et communes consolations qu'on donne en pareil cas. Si vous
etes comme moi, ces steriles efforts ne feraient qu'aigrir votre
chagrin. Sure que votre raison vous dit, mieux que moi, toutes les
raisons de notre soumission envers les immuables lois de la destinee,
je me bornerai a pleurer avec vous dans toute l'effusion d'un coeur
sincerement attache, qui partagera toujours vos plaisirs et vos
peines.
Vous avez tort d'ajouter a des regrets trop fondes, des reflexions
tristes mais imaginaires. Vous dite
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