amie en moi. C'est bon et
rare, les amis! Si vous ne changez point, si vous restez toujours ce
que je vous ai vu ici, c'est-a-dire honnete, doux, sincere, aimant
votre excellente mere, respectant la vieillesse et ne vous faisant pas
un amusement de la railler, comme il est aujourd'hui de mode de le
faire; si vous demeurez, enfin, toujours etranger aux erreurs que vous
m'avez vue detester et combattre chez mes plus proches amis, vous
pouvez compter sur cette amitie toute maternelle que je vous ai
promise.
Mais je vous avertis que j'exigerai plus de vous que des autres. Il en
est beaucoup dont la mauvaise education, l'abandon dans la vie ou le
caractere ardent sont l'excuse. Avec de bons principes, un naturel
paisible, une bonne mere, si l'on se laisse corrompre, on ne merite
aucune indulgence. Je connais vos qualites et vos defauts mieux que
vous ne les connaissez. A votre age, on ne se connait pas. On n'a pas
assez d'annees derriere soi pour savoir ce que c'est que le passe et
pour juger une partie de la vie. On ne pense qu'a l'autre qu'on a
devant soi, et on la voit bien differente de ce quelle sera!
Je vais vous dire ce que vous etes. D'abord l'apathie domine chez
vous. Vous etes d'une constitution nonchalante. Vous avez des moyens,
vos etudes ont ete bonnes. Je crois que vous auriez un jour une tete
"carree", comme disait Napoleon, un esprit positif et une instruction
solide, si vous n'etiez pas paresseux. Mais vous l'etes. En second
lieu, vous n'avez pas le caractere assez bienveillant en general, et
vous l'avez trop quelquefois. Vous etes taciturne a l'exces, ou
confiant avec etourderie. Il faudrait chercher un milieu.
Remarquez que ces reproches ne s'adressent point a mon fils, a celui
que je faisais lire et causer dans mon cabinet, et qui, avec moi,
etait toujours raisonnable et excellent. Je parle de Jules Boucoiran,
que les autres jugent, dont ils peuvent avoir a se louer ou a se
plaindre. Desirant que tous ceux que vous rencontrerez se fassent une
idee juste de vous, et voulant vous apprendre a vivre bien avec tous,
je dois vous montrer les inconvenients de cet abandon avec lequel vous
vous livrez a la sensation du moment: tantot l'ennui, tantot
l'epanchement.
Vous n'aimez point la solitude. Pour echapper a une societe qui vous
deplait, vous en prenez une pire. J'ai su que, pendant mon absence,
vous passiez toutes vos soirees a la cuisine, et je vous desapprouve
beaucoup.
Vous savez si je suis org
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