ue je laisse voir aux gens qu'ils me deplaisent. J'abhorre la
dissimulation, et je serais hypocrite, si j'agissais autrement." Voila
qui est bien d'une tete de vingt ans! croyez-vous, mon enfant, que je
sois perfide et menteuse? croyez-vous que je n'aie pas bien des fois
en ma vie ressenti des mouvements d'eloignement et d'indignation
envers certaines gens? Sans doute cela m'est arrive; mais, avant de le
leur temoigner, j'ai reflechi.
Je me suis demande sur quoi etaient fondees mes aversions, et j'ai
presque toujours reconnu que l'amour-propre m'exagerait la difference
entre moi et ces gens-la, la superiorite usurpee sur eux. Je ne parle
pas des assassins et des voleurs que j'ai eu l'honneur de
_frequenter_. Je les mets a part. Ils ont bien des motifs d'excuse et
de compassion inutiles a dire ici. Je vous permets bien, du reste, de
les considerer avec horreur, pourvu que cette indignation ne vous
rende pas inflexible et inhumain envers ces hommes degrades, qu'on
doit encore secourir, pour les empecher de se degrader de plus en
plus. Il n'est question ici que de ces travers, de ces vices meme
qu'on rencontre dans la societe, dans toutes les societes, avec cette
seule difference qu'ils sont plus ou moins voiles.
Eh bien, si vous etiez un peu moins jeune, si vous aviez plus
d'habitude de rencontrer de ces gens a chaque pas (c'est la en quoi
consiste ce qu'on appelle _experience_), si vous aviez examine _tout_
en les jugeant, vous seriez beaucoup moins severe pour eux, sans
cesser d'etre rigidement vertueux pour vous-meme.
Considerez que vous avez vingt ans, que la plupart des gens dont les
travers vous choquent ont vecu trois ou quatre fois votre age, ont
passe par mille epreuves dont vous ne savez pas encore comment vous
sortiriez, ont manque peut-etre de tous les moyens de salut, de tous
les exemples, de tous les secours qui pouvaient les ramener ou les
preserver. Que savez-vous si vous n'eussiez pas fait pis a leur place,
et voyez ce qu'est l'homme livre a lui-meme?
Observez-vous avec severite, avec attention, pendant une journee
seulement! Vous verrez combien de mouvements de vanite miserable,
d'orgueil rude et fou, d'injuste egoisme, de lache envie, de stupide
presomption, sont inherents a notre abjecte nature! combien les bonnes
inspirations sont rares! comme les mauvaises sont rapides et
habituelles! C'est cette habitude qui nous empeche de les apercevoir,
et, pour ne pas nous y etre livres, nous croyons ne
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