les avoir pas
ressentis. Demandez-vous ensuite d'ou vous vient le pouvoir de les
reprimer; pouvoir qui vous est devenu une habitude et dont le combat
n'est plus sensible que dans les grandes occasions. "C'est ma
conscience, direz-vous. Ce sont mes principes."
Croyez-vous que ces principes vous fussent venus d'eux-memes sans les
soins que votre mere et tous ceux qui ont travaille a votre education
ont pris a vous les inculquer? Et maintenant vous oubliez que ce sont
eux qu'il faut benir et glorifier, et non pas vous, qui etes un
ouvrage sorti de leurs mains! Ayez donc plutot compassion de ceux a
qui le secours a ete refuse et qui, livres a leur propre impulsion, se
sont fourvoyes sans savoir ou ils allaient. Ne les recherchez pas; car
leur societe est toujours deplaisante et peut-etre dangereuse a votre
age; mais ne les haissez pas. Vous verrez, en y reflechissant, que la
bienveillance, qu'on appelle communement _amabilite_, consiste non pas
a tromper les hommes, mais a leur pardonner.
Je ne vous dirai rien sur le reste de votre lettre. Je vous ai dit
tout ce que j'en pensais la premiere foi. Vous convenez que vous avez
tort et vous me promettez de changer cette bienveillance outree en une
douceur plus noble, dont on sentira le prix davantage. Je vois des
elements tres bons en vous; mais le raisonnement est souvent faux.
C'est un grand mal de s'encourager soi-meme a se tromper.
Adieu, mon cher enfant. Je vous attends, venez le plus tot que vous
pourrez. Mes yeux vont mieux. Les enfants et moi vous embrassons
affectueusement. Comptez toujours sur votre vieille amie.
XXXIX
A MADAME MAURICE DUPIN, A PARIS
Nohant, 19 avril 1830.
Ma chere maman,
J'ai ete empechee de vous ecrire par une ophthalmie qui m'a fait
beaucoup souffrir pendant plus d'un mois et dont je ne suis pas tout a
fait debarrassee, j'ai encore les yeux malades et fatigues le soir.
Neanmoins, je suis assez bien pour mettre a execution un projet dont
je n'ai pas voulu vous faire part avant qu'il fut tout a fait arrete.
Je vais aller passer quelques jours aupres de vous, et, de plus, je
vous mene Maurice, afin que vous fassiez connaissance avec lui. Il en
meurt d'envie et me fait mille questions sur votre compte.
Je profite d'une occasion agreable et commode pour le voyage: le
sous-prefet et sa femme[1] vont aussi prendre l'air de Paris et
m'offrent place dans leur caleche. Une fois pres de vous, j'espere
|